23.11.2021
N°2 2021

Allier la fidélité aux principes et l’évolutivité. Point de vue d’une institution dans le domanie de l’intégration

L’institut de formation d’adultes ECAP s’adresse en particulier à un groupe cible sans parcours scolaire. Avant la pandémie de Covid-19, l’enseignement en présentiel constituait donc le standard, et la direction de l’école opérait dans le cadre de structures organisationnelles traditionnelles.  La nécessité d’une numérisation des offres et du travail à domicile du personnel a contraint l’école à remanier ses offres, à introduire de nouveaux modèles de temps de travail pour les formateurs et formatrices et à redéfinir la gestion du personnel. Certes, ECAP reste fidèle à son principe fondamental. Mais la pandémie a profondément transformé l’institut, également en ce qui concerne les exigences envers les activités de la direction et du personnel.  

«La formation contre l’exclusion» – tel est le principe fondamental auquel souscrit ECAP et qui guide l’ensemble de ses offres. L’éventail est vaste et englobe des cours d’entreprise, des cours pour demandeurs d’emploi, la formation professionnelle, les cours de langue et l’intégration, les compétences de base, l’instruction (pré)scolaire, la formation des formateurs·trices, des projets pour femmes et d’autres projets spéciaux pour divers groupes cibles. Par ailleurs, l’école réalise des examens, des évaluations linguistiques ainsi que des certifications, et donne des cours d’entreprise. Les personnes ayant recours à ces offres sont en majorité des personnes immigrées ne possédant que de faibles qualifications formelles, qui doivent s’intégrer en Suisse sur le plan linguistique, professionnel et social. Ces personnes n’ont souvent pas de parcours scolaire. À cela s’ajoute fréquemment un grand besoin de rattrapage au niveau des compétences de base: il existe des déficits de lecture et d’écriture, mais aussi en matière d’informatique et de mathématiques. Lorsque l’on a affaire à des personnes qui ne peuvent souvent communiquer que de façon rudimentaire sur le plan linguistique et ne disposent guère de l’infrastructure requise pour l’utilisation des médias numériques, on mise bien entendu sur le contact direct.

Il n’est donc pas surprenant qu’avant la pandémie de Covid-19, les cours d’ECAP aient exclusivement eu lieu en présentiel. De plus, pour beaucoup de participant·e·s, les leçons en présentiel dans les locaux d’ECAP représentaient souvent la seule possibilité d’un échange social et donc aussi d’une intégration sociale.

Les caractéristiques du groupe cible semblaient ainsi justifier un maintien de formats de cours et de concepts didactiques éprouvés, notamment de la part des formateurs·trices. Malgré cela, il était évident que la formation des adultes et les offres de cours correspondantes ne pouvaient pas échapper à l’influence de la mutation numérique. La flexibilisation et la personnalisation également constituaient des tendances auxquelles ECAP ne pouvait ni ne voulait se soustraire. Au cours des dix dernières années, notre organisation s’est orientée vers une stratégie de numérisation et automation progressives des processus, afin de ne pas risquer d’écraser le personnel par une transformation numérique trop rapide. Les offres de formation continue interne pour un enseignement numérisé sont toutefois restées largement inutilisées.

Le Covid-19 comme tournant décisif

Bien sûr, avec l’interdiction du présentiel en raison du Covid-19, tout a changé. Les bailleurs de fonds d’ECAP ont exigé une poursuite de l’enseignement, ce qui a obligé l’école à réagir sans délai. Les défis étaient considérables. Il a fallu non seulement adapter les formats d’enseignement usuels à des formats numériques, mais également du jour au lendemain investir en force dans la technologie (appareils, licences, plateformes, etc.). Et, bien entendu, il était nécessaire de former immédiatement le personnel en conséquence.

Dans ce processus, ECAP a fait les mêmes expériences que d’autres institutions de formation: il est impossible de numériser les formats analogiques tels quels. Par ailleurs, les particularités de l’enseignement numérique ont également un impact sur les rôles des formateurs·trices, ainsi que sur l’agencement du temps de travail. L’enseignement pratiqué dans les cours en présentiel ne convenait guère aux formats en ligne; on avait désormais plutôt besoin de compétences de facilitation. En outre, les formateurs·trices devaient assumer une fonction d’e-tutorat. Le séquencement des cours a dû être modifié, et à côté du temps en ligne, il fallait également organiser le temps hors ligne, c’est-à-dire le temps requis pour répondre aux questions et demandes reçues par courriel. Les formateurs·trices craignaient une extension de leur temps de travail. La planification et la communication de la part de la direction revêtaient donc d’autant plus d’importance.

Acceptation accrue des médias numériques

Au risque de paraître cynique: la pandémie a eu un effet tout à fait appréciable. Même les personnes les plus sceptiques vis-à-vis du numérique n’avaient plus d’autre choix que de s’engager dans l’enseignement en ligne. Suite à cela, l’utilisation de supports numériques dans l’enseignement en présentiel a également été mieux acceptée. Et cela a permis à l’école de développer des offres tout à fait nouvelles, qui auraient été impensables auparavant en raison de l’attitude réticente des formateurs·trices. Il s’agit de cours qui ont lieu exclusivement en ligne et qui s’adressent à des personnes à l’étranger. Ce public cible souhaite se préparer à la vie professionnelle en Suisse. À la différence des personnes qui ont dû fuir leur pays, ce sont en général des personnes qui ont bénéficié d’un parcours scolaire et suivi une formation formelle. L’extension de l’offre va donc de pair avec un élargissement du groupe cible.

Mais comme on pouvait s’y attendre, les limites de l’enseignement en ligne pour le groupe cible sans parcours scolaire se sont rapidement fait sentir. Puisque beaucoup ne pouvaient participer aux cours qu’avec leur smartphone et que, souvent, les femmes n’avaient même aucun accès à une infrastructure numérique, il était parfois nécessaire d’envoyer les devoirs par la poste. Il est donc logique qu’ECAP ait repris les offres analogiques immédiatement après la levée de l’interdiction du présentiel. Mais à côté du maintien des offres en ligne, ECAP propose désormais aussi des cours d’initiation aux TIC visant à transmettre au moins des connaissances élémentaires d’application, afin que les chances d’une participation à des cours en ligne soient un peu meilleures dans le cas d’un nouveau confinement. Cela ne résout toutefois pas le problème d’une infrastructure insuffisante, voire même de l’absence totale d’accès à des appareils.

Le travail à domicile comme défi pour la direction de l’institut

Mais l’extension numérique de l’offre de cours d’ECAP n’est pas le seul héritage de la pandémie. Même si c’est dans une moindre mesure que pendant la pandémie, le travail à domicile va continuer à faire partie du nouveau quotidien pour le personnel de l’école. Toutefois, le travail à domicile est aussi quelque chose qu’il faut apprendre, tant pour le personnel que pour la direction qui est responsable du contrôle du temps de travail et en fin de compte de la productivité. Dans la phase du travail à domicile imposé, les collaborateurs·trices ont noté leurs heures de travail – de 8 heures à midi et de 14 à 17 heures. Mais lorsqu’on les interrogeait à ce propos, ils n’étaient pas en mesure de préciser ce qu’ils avaient effectivement fait pendant ce temps. Nous ne sous-entendons aucunement par là que l’on ait moins travaillé à domicile. Mais la mentalité de donner une visibilité à ce qui avait été effectué n’était nullement développée. Entre-temps, ECAP a mis en place, pour le personnel non enseignant également, des formations continues permettant d’apprendre comment travailler à domicile. Cela implique notamment une plus forte orientation projets – autrement dit: un renforcement de la pensée entrepreneuriale parmi les collaborateurs·trices.

Même si les structures organisationnelles d’ECAP sont restées inchangées pour l’instant, un changement de mentalité parmi le personnel ne restera sans doute pas sans conséquence. La tendance à une responsabilité personnelle accrue aura également un impact sur le déroulement des processus et la manière dont de nouveaux développements seront initiés et mis en œuvre. Dans le cas idéal, ECAP évolue en direction d’une forme d’organisation plus agile – ce qui aura à son tour une influence sur le rôle de la direction, qui devra revoir son rôle de gestion.

De nouveaux phénomènes exigent de nouvelles stratégies

Tout comme d’autres écoles, ECAP a connu après la levée de l’interdiction du présentiel un certain retour à la normale qui, pour l’instant, comprend bien entendu encore le respect de concepts de protection. On est toutefois confronté à de nouveaux phénomènes: par exemple les diverses attitudes envers la vaccination. Les formateurs·trices ne veulent pas tous se faire vacciner. Certains refusent même d’enseigner aux personnes vaccinées. Gérer les peurs qui découlent de l’insécurité actuelle – cela fait aussi partie de la nouvelle réalité pour la direction de l’école.

Elle a fondamentalement appris que les changements peuvent survenir de manière subite et inattendue, et avoir de lourdes conséquences pour l’activité de formation. Afin de pouvoir réagir et s’adapter rapidement à de nouvelles conditions cadres, il faut penser davantage par scénarios, qu’il peut être nécessaire d’anticiper. Mais autant on salue le pas vers la numérisation entrepris par la direction d’ECAP, autant on a conscience du fait qu’elle laisse derrière elle des perdant·e·s. Afin de continuer à respecter le principe de la «formation contre l’exclusion», ECAP fera donc l’un et l’autre: proposer des cours en présentiel et développer les offres numériques. Et devra sans doute réfléchir encore plus que par le passé à des voies permettant à son groupe cible sans parcours scolaire d’accéder à l’univers numérique.

Giuliana Tedesco-Manca, vice-directrice d’ECAP. Contact: gtedesco@ecap.ch

ECAP est une institution d’intérêt public à but non lucratif pour la formation des adultes, avec siège à Zurich et neuf antennes régionales à travers la Suisse. Avec ses activités, cette organisation interculturelle permet la formation de personnes immigrées et d’une façon générale de travailleur·euse·s ne possédant qu’une faible qualification formelle. Avec plus de 50 000 personnes qui assistent à ses activités chaque année, ECAP est l’une des plus grandes institutions de formation pour adultes en Suisse.