24.05.2022
N°1 2022

Analyse de l’apprentissage et éducation des adultes: l’apprentissage tout au long de la vie dans le contexte de la «datafication» croissante

Avec l’émergence des technologies numériques dans le domaine de l’apprentissage tout au long de la vie, les volumes de données concernant les apprenant·e·s et les activités d’apprentissage sont en constante augmentation. L’utilisation de ces données, notamment à des fins didactiques, est désignée par la notion d’analyse de l’apprentissage («Learning Analytics»). Cet article se consacre au domaine en plein essor de l’analyse des données d’apprentissage et examine, au moyen d’exemples, les possibilités, les limites et les risques induits par leur utilisation dans l’éducation des adultes.

La «datafication», corollaire de la transformation numérique

L’utilisation croissante des technologies numériques dans de nombreux domaines de notre vie quotidienne entraîne une tendance appelée «datafication». Elle désigne l’augmentation des données générées et traitées du fait de l’utilisation des technologies numériques. Les achats en ligne, les smartphones, les bracelets connectés, les voitures «intelligentes», les assistants vocaux et les appareils du quotidien interconnectés (Internet des objets ou IoT) sont quelques exemples parmi d’autres qui montrent que chacun·e d’entre nous, de manière consciente ou inconsciente, laisse des «traces numériques» toujours plus nombreuses (Breiter & Hepp 2018). Le phénomène de «datafication» est étroitement lié aux nouvelles capacités d’analyse des données (Analytics) dont font partie les méthodes rattachées à l’intelligence artificielle (IA) comme l’apprentissage machine. Des exemples types sont les recommandations d’achat sur les plates-formes commerciales et les canaux de réseaux sociaux ou la planification de l’itinéraire basée sur internet et sur des informations de trafic actualisées.

Cette tendance affecte le secteur de l’éducation de deux manières: d’une part, la «datafication» est un phénomène qui touche de près la société. À ce titre, il doit être abordé dans les offres éducatives afin de susciter une prise de conscience et une réflexion critique sur la gestion compétente des données (savoir-faire en matière de données ou «Data Literacy»). D’autre part, la «datafication» concerne aussi le secteur de l’éducation du fait de la généralisation des technologies numériques dans des contextes d’apprentissage et d’enseignement, comme en témoigne l’essor de la branche des technologies de l’éducation («Edtech»). Des notions comme le big data et l’IA soulèvent de grandes attentes (également) dans le secteur de l’éducation, en particulier à propos de la personnalisation de l’apprentissage. Ces attentes amplifient les questions concernant le caractère disruptif des évolutions technologiques dans l’éducation (pour l’éducation des adultes, voir p. ex. Dreisiebner & Lipp 2022; Grotlüschen 2018).

Résumée sous le terme «analyse de l’apprentissage» depuis 2010 environ, l’étude des potentiels liés à l’utilisation des données d’apprentissage n’en est qu’à ses débuts. Jusqu’à présent, cette tendance a accordé une faible attention à l’éducation des adultes, bien que des questions sur les besoins d’apprentissage individuels se posent à l’heure actuelle, en particulier pour les adultes. Au niveau international, on recense seulement quelques exemples d’analyse de l’apprentissage dans l’éducation des adultes (p. ex. Jo, Kim & Yoon 2015; Van Laer & Elen 2020). Il s’agit souvent de projets pilotes et non de réalisations pratiques qui s’inscrivent dans la durée (Ruiz-Calleja et al. 2021). Ce thème a été abordé seulement de manière isolée et marginale dans le discours spécialisé sur la pédagogie des adultes (actuellement p. ex. Gugitscher & Schlögl 2022; Rohs & Bernhardsson-Laros 2022). Cet article offre l’opportunité de se consacrer au thème de l’analyse de l’apprentissage dans le contexte de l’éducation des adultes. À partir d’une présentation des caractéristiques principales de l’analyse de l’apprentissage, il met en lumière les possibilités d’utilisation des données dans le domaine de l’éducation des adultes et soulève quelques perspectives critiques avant de parvenir à une conclusion (provisoire).

Objet et base de l’analyse de l’apprentissage

L’approche consistant à collecter et à mettre en réseau de grands volumes de sources de données au moyen de méthodes statistiques est déjà appliquée dans d’autres domaines de notre vie quotidienne. Avec l’analyse de l’apprentissage, elle fait son entrée dans des environnements pédagogiques. L’exigence qui en découle peut être résumée comme suit: «L’analyse de l’apprentissage est la discipline consacrée à la mesure, la collecte, l’analyse et la production de rapports relatifs aux apprenant·e·s et à leurs contextes dans l’objectif de comprendre et d’optimiser l’apprentissage et les environnements dans lesquels il se produit» [traduction libre]» (Long et Siemens 2011, p. 34; pour d’autres définitions, voir Scheidig 2021a, p. 171 ss). Jusqu’à présent, l’accent était surtout mis sur le contexte universitaire et les objectifs étaient multiples: obtenir de nouvelles informations sur le comportement d’apprentissage, soutenir les étudiants en leur proposant des offres d’apprentissage, des recommandations et un feed-back adaptés à leurs besoins, identifier à temps les obstacles, les processus d’apprentissage critiques et déceler les étudiant·e·s en risque de «décrochage». L’objectif était aussi de mettre des informations à la disposition de différents groupes (enseignant·e·s, instances dirigeantes au niveau institutionnel et autorités éducatives) pour leur permettre d’agir. Lorsque la priorité est mise non pas sur les environnements d’enseignement/d’apprentissage concrets («analyse de l’apprentissage» au sens strict), mais sur des aspects principalement organisationnels ou pluridisciplinaires comme le pourcentage de décrocheurs et décrocheuses et l’utilisation des ressources, on parle alors d’analyse académique ou d’«Academic Analytics» (Scheidig 2021b).

L’analyse de l’apprentissage repose sur des données statiques et dynamiques relatives aux apprenants (p. ex. sociodémographie), aux contextes d’apprentissage (p. ex. curriculum), aux processus d’apprentissage (p. ex. comportement dans des environnements d’apprentissage en ligne) et aux bénéfices de l’apprentissage (p. ex. performances d’apprentissage). Il s’agit de données lisibles par des machines et/ou exploitables par des moyens informatiques. Souvent, ces données existent déjà; elles ont par exemple été saisies dans des logiciels d’apprentissage ou d’examens ou dans des systèmes de gestion utilisés par les campus. L’analyse de ces données peut être effectuée de manière rétrospective (p. ex. rapports), en temps réel (p. ex. recommandations) ou renvoyée vers le futur (p. ex. prévisions). Les méthodes utilisées pour le traitement des données incluent la visualisation des données (p. ex. dans des tableaux de bord), les analyses des réseaux sociaux et l’exploration des données (data mining). Les méthodes statistiques conventionnelles sont (jusqu’à présent) davantage utilisées que l’IA (Scheidig & Holmeier 2021, p. 218 ss). Même si, en l’espace de quelques années, un débat distinct sur l’analyse de l’apprentissage, avec des forums dédiés, s’est développé à la croisée de différentes disciplines – débat dans lequel des considérations éthiques et le thème de la protection des données occupent une importance manifeste – de nombreux domaines d’application restent encore inexplorés. L’étude des potentiels de l’analyse des données d’apprentissage semble n’être qu’à ses débuts. L’importance relativement faible accordée jusqu’à présent à des domaines comme l’éducation des adultes en est l’illustration.

L’analyse de l’apprentissage dans l’éducation des adultes

Lorsqu’on examine les scénarios d’utilisation possibles de l’analyse de l’apprentissage dans l’éducation des adultes, il convient tout d’abord de souligner la pluralité de ce secteur: compte tenu de la diversité de prestataires (prestataires soutenus par les pouvoirs publics, ONG internationales, entreprises privées à but lucratif) et des offres (formation professionnelle, cours de danse, groupe de discussion philosophique), les potentiels de l’utilisation des données ne peuvent pas être évalués de manière générale, mais seulement de manière spécifique selon le contexte. En principe, l’acquisition de données à des fins d’analyse de l’apprentissage englobe seulement les secteurs dans lesquels des données pertinentes peuvent être générées. Un grand nombre d’activités en lien avec l’éducation des adultes, par exemple les interactions en face à face qui n’utilisent pas de moyens numériques, n’est pas concerné. On peut également mentionner les processus d’apprentissage informels, par exemple les activités d’apprentissage liées à un poste de travail dans des environnements dont la mission principale n’est pas l’apprentissage (Ruiz-Calleja et al. 2021). Par rapport à un domaine relativement fermé comme la formation universitaire, on part donc du principe que la disponibilité et l’interopérabilité des données dans l’éducation des adultes sont nettement plus faibles. En effet, l’éducation des adultes se déroule tout au long de la vie et est par nature ouverte. Elle n’est pas rattachée à un établissement, à un curriculum ou à un diplôme. De nombreux scénarios d’utilisation de l’analyse de l’apprentissage ont été principalement élaborés dans le contexte de l’enseignement universitaire et ne peuvent pas être transposés dans l’éducation des adultes, ou seulement de manière limitée, car il manque un équivalent structurel et technique (p. ex. identification des apprenant·e·s en risque de décrochage grâce à des données rigoureuses d’apprentissage et d’examens).

Au regard de la diversité des contextes dans l’éducation des adultes et compte tenu du fait que les technologies numériques ont peu ou pas du tout pénétré ces contextes, et au vu des innombrables opportunités d’apprentissage intégrées dans le quotidien, les perspectives qui promettent de représenter, à partir de données, des processus d’apprentissage tout au long de la vie – tous contextes d’apprentissage confondus – («Lifelong Learning Analytics», Pham & Klamma 2013) doivent être considérées avec un certain scepticisme. Au-delà de tous les préjugés qui entourent l’aspect pratique des applications (activités d’apprentissage ne générant aucune donnée, absence de normes sur les données, absence d’instance supérieure, etc.), le fait de revendiquer une saisie et une mise en réseau des données tout au long de la vie paraît discutable, notamment pour des raisons pédagogiques, éthiques et juridiques (McNamara 2018). D’autres raisons remettent également en question cette exigence: premièrement, le caractère discontinu des processus d’apprentissage ainsi que les parcours d’éducation ouverts et, deuxièmement, le droit à l’oubli et l’injonction de faire un usage parcimonieux des données. En conséquence, pour l’éducation des adultes, on peut envisager en priorité une utilisation des données en fonction du contexte d’apprentissage, c’est-à-dire dans le cadre d’une institution ou d’un environnement d’apprentissage numérique, comme le montrent les exemples suivants.

L’analyse de l’apprentissage au niveau microdidactique

Sur le plan microdidactique, l’analyse de l’apprentissage place au premier plan les environnements d’apprentissage numériques dans lesquels sont générées des données sur les activités d’apprentissage. Les exemples types sont les systèmes de gestion de l’apprentissage (LMS). Notamment utilisés dans les cours de langues étrangères et d’alphabétisation, ces systèmes saisissent la date et l’heure, la durée et la fréquence des accès à la plate-forme d’apprentissage, les interactions avec les supports d’apprentissage et avec d’autres participant·e·s, sans oublier les performances des apprenant·e·s. Même si ces données (p. ex. le temps investi ou «time on task») ne fournissent aucune information qualitative sur l’apprentissage, elles comportent des indications intéressantes sur l’utilisation des ressources d’apprentissage et peuvent servir de base pour le feed-back (p. ex. à propos des problèmes d’apprentissage et des progrès) ou la conception de futures offres d’apprentissage (pour des exemples d’utilisation dans l’éducation des adultes, voir notamment Jo et al. 2015; Van Laer & Elen 2020). Des données comparables sont également générées dans les formations en ligne ouvertes à tous, les «MOOC» ou Massive Open Online Courses. Ebner et al. (2018) présentent des possibilités d’analyse de données au moyen d’une «EBmooc» pour adultes sur laquelle quelque 200 000 activités d’apprentissage ont été enregistrées pour un total d’environ 3000 participant·e·s sur une durée de six semaines. D’autres sources de données possibles sont les applications, les écrans tactiles ou les panneaux d’information interactifs, les audioguides ainsi que les applications de réalité augmentée et de réalité virtuelle (AR/VR) proposées notamment dans certains musées, centres scientifiques et autres lieux de commémoration. Ces supports peuvent servir de sources de données, par exemple pour analyser les domaines qui intéressent le plus les utilisateurs et pour déterminer si les offres numériques mises à disposition sont utilisées et, si oui, comment elles le sont.

En plus de ces scénarios d’utilisation non intrusifs, des données sur les processus d’apprentissage peuvent également être collectées spécialement à des fins d’analyse. Yun et al. (2019) ont développé un scénario impliquant l’utilisation de technologies portables, par exemple des montres connectées, pouvant être utilisées dans des formations destinées aux services de secours: les apprenant·e·s utilisent un jeu vidéo conçu à des fins éducatives («serious game») dans lequel les situations d’urgence sont simulées de manière réaliste. Le niveau de difficulté est adapté en fonction de la fréquence cardiaque mesurée selon la situation. Différentes sources de données peuvent être mises en combinaison afin d’élargir la vision sur les activités d’apprentissage fournie de manière limitée par les données de systèmes LMS. Pour l’analyse de cours de musique non formels, Viertel, Krieter & Breiter (2021) ont par exemple analysé, en complément des données journalisées fournies par des systèmes LMS, des données de systèmes et des captures vidéo d’écrans de tablettes. Celles-ci ont été mises à la disposition des apprenant·e·s et ont été utilisées pour des activités d’apprentissage en dehors du système LMS.

Les cas d’utilisation pour l’analyse de l’apprentissage présentés ci-dessus exigent un traitement et une interprétation des données (dans la mesure où aucune préparation des données, p. ex. via la visualisation, n’est programmée) de la part des responsables de l’offre de formation. Les données doivent donc être interprétées à partir d’une perspective didactique. Les environnements d’apprentissage caractérisés par une automatisation élevée du traitement des données d’apprentissage et qui sont utilisés en dehors d’offres de formation organisées doivent être pris en compte séparément. Sont notamment concernés les systèmes d’apprentissage adaptatifs (p. ex. l’application Duolingo dédiée à l’apprentissage des langues étrangères) qui personnalisent les unités et/ou les parcours d’apprentissage au moyen d’une analyse automatique et en temps réel des données. Cette personnalisation repose sur un modèle d’apprentissage spécifique au domaine et varie selon les progrès individuels et les préférences des participant·e·s (Biel et al. 2019). Il s’agit d’une caractéristique intéressante pour relever le défi qui est de répondre à la diversité des apprenant·e·s adultes. Des systèmes adaptatifs tels que les applications pour l’apprentissage des langues étrangères existent aussi dans des contextes d’apprentissage informels; ils sont utilisés sans intervention pédagogique professionnelle et sont dirigés concrètement par des algorithmes. Un exemple actuel de système d’apprentissage adaptatif, se situant précisément dans le domaine de l’éducation des adultes, est le projet collectif KUPPEL dirigé par la DVV (Association des universités populaires allemandes). Dans le cadre de ce projet, un environnement d’apprentissage fondé sur l’IA destiné au personnel d’éducation des adultes est développé. Sur la base de conditions et de préférences individuelles, il doit permettre une acquisition personnalisée des compétences numériques. En plus de ces scénarios axés sur la saisie des activités d’apprentissage, les données peuvent aussi être traitées dans le cadre du diagnostic du niveau d’apprentissage formatif (pendant l’apprentissage) ou sommatif (au terme de l’apprentissage), par exemple pour établir un classement du niveau en langues étrangères ou effectuer un test adaptatif dont le niveau de difficulté peut être ajusté au cas par cas. Ces exemples, dans lesquels les analyses automatisées ne sont pas effectuées de manière générique, mais selon le contenu, ont pour point commun la restriction suivante: ils exigent – au moins à l’heure actuelle – des contenus d’apprentissage correctement formalisés, qui peuvent être séquencés dans des unités d’apprentissage structurées. En revanche, les contenus d’apprentissage qui ne peuvent être structurés que de manière limitée ainsi que les tâches se situant à des échelons élevés dans la taxonomie des objectifs pédagogiques (p. ex. évaluation, développement) sont peu adaptés à de telles applications basées sur les données.

Analyses de données au niveau méso-didactique

Au-delà du niveau des offres et des situations d’apprentissage concrètes, les données peuvent aussi être exploitées au niveau méso-didactique, notamment afin d’analyser la manière dont les programmes sont perçus par les apprenant·e·s. De plus en plus de prestataires dans le domaine de l’éducation des adultes proposent des programmes en ligne à la place ou en complément des fascicules de programme (Käpplinger 2021). Par conséquent, de nouvelles informations peuvent être obtenues à partir des données provenant de sites web. Il est par exemple possible de savoir si des offres ont été recherchées et quelles stratégies ont été utilisées à cet effet, comment le programme présenté de manière non linéaire (contrairement aux programmes imprimés) est «exploré», quelles personnes et combien de personnes s’intéressant à différents contenus consultent des offres de formation et à quel moment elles quittent le programme («dernière page consultée»), quel est le rapport entre le nombre de consultations de la page et le nombre d’inscriptions, en fonction de l’offre de formation, etc. Les informations obtenues via de telles analyses peuvent renseigner sur les besoins d’apprentissage et les modèles correspondants ou être exploitées pour optimiser la description et la présentation des offres en ligne. «Des remarques du type ‛les clients qui ont acheté cet article ont également acheté…’ doivent-elles être, pour les institutions de formation continue, la nouvelle manière de se présenter?» (Käpplinger 2021, p. 39.) – De telles recommandations en temps réel, reposant sur les données concernant la manière dont les programmes sont accueillis, sont en principe possibles.

Les données relatives aux personnes inscrites à des événements, qui sont enregistrées dans le système de facturation d’un établissement d’éducation des adultes, peuvent aussi servir à analyser les intérêts et les profils sociodémographiques des participant·e·s et peuvent également être utilisées à des fins de marketing ou pour toucher les groupes cibles (quel groupe cible est touché ou ne l’est pas suffisamment? Où résident [ne résident pas] les participant·e·s? Pour quel public quelles offres pourraient être intéressantes?) La plate-forme à but lucratif LinkedIn Learning est un exemple actuel illustrant la manière dont différentes données peuvent être utilisées pour formuler des recommandations d’offre personnalisées. Cette plate-forme propose plus de 16 000 formations en ligne qui vont de l’acquisition des «soft skills» à l’apprentissage d’un langage de programmation sanctionné par un certificat. LinkedIn Learning soumet des propositions de formation continue personnalisées sur la base des profils professionnels des millions d’utilisatrices et d’utilisateurs dans le monde entier du réseau professionnel LinkedIn, profils qui contiennent des informations sur le métier, les compétences, et les centres d’intérêt (Hansch, Dörich & Rohwerder 2021; Grotlüschen 2018). Le projet ambitieux de la plate-forme nationale de formation en Allemagne doit franchir une étape supplémentaire: actuellement en cours de développement, elle doit être lancée en 2023 et sera une méta-plateforme pour l’utilisation à grande échelle d’offres de formation numériques: «Elle est adaptée au mode de vie actuel et permet, de manière individuelle et flexible, de parcourir sans entrave les différentes formes et offres de formation numériques»1. Il sera intéressant d’observer de quelle manière cette plate-forme saisira à l’avenir les données des apprenant·e·s et des processus d’apprentissage auprès de prestataires les plus divers (!) en vue de créer le «portefeuille de données» individuel des utilisateurs et utilisatrices et de quelle manière elle traitera ces données pour, conformément à l’objectif formulé, soumettre des recommandations personnalisées d’offres d’apprentissage.

Perspectives critiques

L’analyse de l’apprentissage s’accompagne de différentes réserves, notamment en ce qui concerne la protection des données. Le respect des directives en la matière est essentiel. Il convient notamment de garantir la transparence, la légalité, la confidentialité du traitement des données et de préserver le droit à l’autodétermination des personnes concernées en matière d’information. De ce droit découle l’obligation de renseigner sur la finalité des analyses de données. Les exigences légales et organisationnelles en matière de protection des données s’appliquent aux sources de données existantes, même si l’on renonce à effectuer une analyse de l’apprentissage (Scheidig & Holmeier 2021). Des préoccupations éthiques fondées apparaissent également. On redoute que l’analyse de l’apprentissage ne génère (même en cas de traitement des données conforme à la législation) des dispositifs de mesure et des tendances à la normalisation, un sentiment de surveillance et de pression sociale. Tout cela peut influencer le comportement des apprenant·e·s (pour l’éducation des adultes, voir Viertel et al. 2021). L’évaluation des effets de la technologie soulève aussi des contradictions: pourquoi ne serait-il pas acceptable d’exploiter le potentiel des données pour impulser des développements alors que ces données existent déjà (faut-il délibérément renoncer à l’information)? Comme toutes les autres questions éthiques posées par la transformation numérique dans l’éducation des adultes (voir Rohs & Bernhardsson-Laros 2022), ces aspects nécessitent une évaluation basée sur les valeurs.

Une autre problématique concerne l’objectivité et la neutralité supposées des données (Breiter & Hepp 2018). Des conceptions ainsi que des préférences et, parfois, de la discrimination sont intégrées dans les algorithmes (Beck et al. 2019). Les données, tout comme les analyses qui s’appuient sur ces dernières, peuvent être erronées et suggérer des conclusions qui le seront tout autant. Quoi qu’il en soit, ces conclusions reposent seulement sur des domaines qui génèrent des données et n’apportent qu’un éclairage partiel sur la pratique éducative, ce qui renvoie à un problème fondamental: les connaissances obtenues avec l’analyse de l’apprentissage englobent moins des questions pédagogiques que la question de la disponibilité des données. Jusqu’à présent, le discours spécialisé est peu fondé sur les sciences de l’éducation et est avant tout motivé par des considérations techniques (Scheidig 2021a). L’accent est généralement mis sur les analyses quantitatives (fréquence, probabilité, corrélation, etc.) s’appuyant sur des données concernant le comportement d’apprenant·e·s potentiels. Ce constat aboutit au reproche justifié selon lequel l’analyse de l’apprentissage est comportementaliste puisqu’elle se concentre sur des actions visibles et/ou mesurables. En général, les applications de l’analyse de l’apprentissage ne fournissent pas d’informations qualitatives, par exemple pour expliquer le comportement d’apprentissage, et ne permettent pas de déduire directement des améliorations efficaces. Ces applications exigent une interprétation des données par des personnes ayant des connaissances pédagogiques (Scheidig 2021b, p. 189 ss). Cela est en contradiction avec l’exigence de mieux comprendre l’apprentissage et de l’optimiser (Long & Siemens 2011).

Les critiques à l’encontre de l’analyse de l’apprentissage reposent sur différents niveaux, mais toutes ne s’appliquent pas de la même manière à tous les scénarios d’utilisation. Les critiques types s’orientent en particulier vers les situations dans lesquelles les apprenant·e·s sont observés du fait du traitement de leurs données personnelles (sensibles) et reçoivent un feed-back ou des recommandations sur la base d’algorithmes (opaques). Les critiques sont toutefois moins justifiées quand elles concernent les analyses qui reposent sur des données agrégées ou anonymisées, comme les analyses au niveau des programmes qui ne ciblent pas des apprenant·e·s en particulier, mais qui concernent principalement l’offre et d’autres aspects en lien avec l’institution.

Conclusion

Du fait de l’utilisation croissante des technologies numériques dans les processus d’enseignement et d’apprentissage et au niveau organisationnel, le volume de données générées dans le domaine de l’éducation des adultes a augmenté. Cette tendance devrait se poursuivre à l’avenir. Cependant, ces données ne saisissent que des extraits des contextes d’apprentissage très variés et complexes et des actions liées à l’apprentissage. Obtenir ces données relève d’un processus complexe, également sur le plan organisationnel, et fait l’objet de restrictions juridiques et éthiques (Scheidig & Holmeier 2021). Malgré ces limites et leur valeur informative restreinte, les données relatives aux apprenant·e·s et aux processus d’apprentissage, généralement générées de manière accessoire, ont le potentiel de fournir des informations pertinentes sur la pratique de l’éducation des adultes. Ces informations peuvent être utilisées de différentes manières pour différents domaines d’activité dans l’éducation des adultes, par exemple pour la planification des programmes, la pratique de l’enseignement, le conseil, le marketing, l’évaluation et la gestion de la qualité. L’exploitation de ces données qui, généralement, existent déjà, exige non seulement l’acceptation des apprenant·e·s, surtout si cette exploitation se rapporte à des personnes, mais aussi l’acception des responsables des offres de formation au niveau méso ou micro. Le fait de renoncer à une analyse de l’apprentissage n’exonère pas les prestataires d’offres éducatives pour adultes de leur obligation de gérer de manière compétente les données, en particulier en ce qui concerne les exigences liées à la protection et à la sécurité des données, par exemple lors du choix et de la configuration des logiciels, la formulation des conditions d’utilisation et la mise en œuvre d’une directive institutionnelle sur la protection des données (Scheidig & Holmeier 2021).

Il convient de donner au personnel de pédagogie des adultes et aux apprenant·e·s les moyens nécessaires pour qu’ils gèrent les données de manière compétente («Data Literacy»). Il faut également encourager un jugement réfléchi sur les nouvelles possibilités offertes par le traitement des données et ses implications. Cela suppose non seulement de comprendre à quel moment quelles données sont collectées et traitées, mais aussi d’avoir conscience des potentiels, des risques et des limites de l’utilisation des données dans des contextes d’apprentissage (et aussi dans d’autres contextes). Enfin, le thème de l’analyse de l’apprentissage pour l’étude scientifique de l’éducation des adultes est intéressant pour deux raisons. D’abord du point de vue de la méthodologie de recherche: l’analyse de l’apprentissage permet d’accéder à un domaine peu exploité, essentiellement non réactif (c’est-à-dire que les participant·e·s ne remarquent pas que leur comportement est enregistré) (Breiter & Hepp 2018) pour approfondir, en s’appuyant sur des données, des questions relatives à l’éducation des adultes. Ensuite, parce que la science, en tant qu’instance de réflexion, doit accompagner les évolutions dans le domaine de la pratique, d’autant que ces évolutions sont impulsées par des acteurs externes tels que des entreprises globales de la branche des technologies de l’éducation (Breiter & Hepp 2018). 

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Falk Scheidig occupe depuis avril 2022 la chaire de l’apprentissage tout au long de la vie, avec une spécialisation dans l’apprentissage non formel et informel à l’Université de la Ruhr-de Bochum. Contact: falk.scheidig@rub.de