09.05.2021
N°1 2021

Décisions de formation continue dans les petites entreprises et microentreprises – critères et stratégies de décision

Le présent article se penche sur les décisions en matière de formation continue des directrices et directeurs de petites entreprises ou de microentreprises. Considérant l’importance économique et quantitative de cette classe de taille d’entreprise pour le paysage des entreprises en Suisse, il présente le bilan intermédiaire d’une étude qualitative par interviews visant à renseigner sur les décisions de ces entreprises en matière de formation, du point de vue de leurs directions. Il expose enfin les implications de ces constats pour la promotion de la formation continue du point de vue des prestataires.

Introduction

La participation à la formation continue n’est pas seulement examinée sous différents angles empiriques; le regard porte également sur les acteurs les plus divers (participants, prestataires, entreprises, intermédiaires, politique à l’échelle nationale et internationale, etc.). Diverses approches théoriques de différentes disciplines, notamment des sciences sociales (sciences pédagogiques, sociologie [des organisations], sciences économiques, etc.), sont également mises à profit (cf. article de Kulmus dans ce numéro). S’agissant du domaine de la formation continue en entreprise dans son ensemble, on constate une dominance de la recherche sur la formation continue dans les grandes entreprises. Dobischat et Düsseldorf y ont réagi par un appel à analyser la formation continue dans les petites et moyennes entreprises et à «[…] examiner les causes de la réticence à la formation continue dans leur rapport avec les processus de décision des entreprises contre une formation continue […]» (Dobischat et Düsseldorf 2013, p. 253). Dans le cadre d’une discussion des différentes approches théoriques relatives à la formation continue en entreprise, Käpplinger a par ailleurs constaté, entre autres, le besoin d’un «[…] développement approfondi de travaux s’appuyant sur la théorie, notamment de travaux relatifs à la pédagogie pour la formation des adultes, dans un champ de recherche interdisciplinaire» (Käpplinger 2018, p. 679).

Je réponds ci-après à ces deux souhaits en me penchant sur la perspective des directrices et directeurs de petites entreprises et de microentreprises dans l’objectif de comprendre les prises de décisions des entreprises en matière de formation continue et de développer une typologie de ces décisions, sur laquelle pourront également, en fin de compte, s’appuyer utilement les prestataires de formation. À cet effet, le présent article souligne tout d’abord le rôle particulier des petites entreprises et microentreprises dans le paysage des entreprises en Suisse et donc, d’une part, leur importance économique et, d’autre part, leur engagement dans le domaine de la formation continue en entreprise. Il esquisse ensuite un cadre théorique de la prise de décision, avant de présenter enfin les constats empiriques d’un sondage qualitatif auprès du groupe cible mentionné dans divers secteurs économiques. L’article vise donc à renseigner selon une base empirique sur la pratique des décisions de formation continue des petites entreprises et des microentreprises.

Les petites entreprises et microentreprises et la formation continue

L’importance économique des petites entreprises et microentreprises peut être décrite sur la base de leur poids quantitatif, mais également au vu de leur influence sur le système de l’emploi, de la part qu’elles prennent à la génération de valeur brute, ou encore de leur répartition régionale dans les cantons, de leur proportion dans divers secteurs économiques, etc. Quel que soit l’indicateur sur lequel on s’appuie, on ne peut en aucun cas justifier leur représentation relativement faible dans le champ de la recherche sur la formation continue en entreprise. En tant que «clé de voûte de l’économie suisse» (Office fédéral de la statistique 2020, p. 1), les petites et moyennes entreprises (PME) constituent dans l’année de référence 2018 99,7 % des 60 000 entreprises suisses et concentrent plus de 67 % des emplois. La part de la classe de taille d’entreprise faisant l’objet de cet article, c’est-à-dire des petites entreprises et microentreprises, représente 89,7 % (microentreprises de 1 à 9 emplois) et 8,5 % (petites entreprises, de 10 à 49 emplois) de la totalité des PME (Office fédéral de la statistique 2020, p. 3 ss).

Stutz et von Erlach proposent un aperçu important de la formation continue en entreprise, et donc de l’engagement des petites entreprises et microentreprises en Suisse, sur la base des enquêtes sur la formation professionnelle initiale et continue et des données du microrecensement de l’Office fédéral de la statistique pour les années de référence 2015 et 2016 (Stutz et Erlach 2018). L’étude englobe toutes les activités dont l’objectif primaire est une formation continue des employés et dont les coûts sont au moins en partie assumés par l’entreprise. L’apprentissage incidentel (informel) est donc exclu (Stutz et Erlach 2018, p. 6). En dépit de leur importance évidente, les microentreprises (< 10 emplois) ne sont pas prises en compte, puisqu’elles ne font pas partie de la population de base et de l’unité de relevé de l’enquête susmentionnée de l’Office fédéral de la statistique sur la formation professionnelle initiale et continue (Liechti 2017, p. 23). Tout au moins en ce qui concerne les petites entreprises (< 50 emplois), on peut toutefois résumer des constats importants:

Sur la totalité des petites entreprises, 87 % ont des activités de formation continue dans l’année de référence 2015, ce qui représente une hausse notable de 7 % par rapport à l’enquête précédente de 2011. Les petites entreprises se rapprochent ainsi à grands pas des moyennes et grandes entreprises, qui peuvent faire état d’un taux d’activité de 98 et 100 % respectivement (Stutz et Erlach 2018, p. 7). Les cours internes et externes représentent le standard parmi les formats de formation continue, mais sont, avec près de 100 %, nettement plus fréquents dans les grandes entreprises que dans les petites, dont 70 % seulement soutiennent des cours externes, et même 51 % seulement des cours internes (Stutz et Erlach 2018, p. 8). Ces différences ne s’expliquent pas uniquement par l’activité de formation un peu moindre au total des petites entreprises. Il est probable que c’est pour des raisons financières et organisationnelles que les petites entreprises ont davantage recours à des formules et activités moins formalisées, telles que la visite de salons, la rotation des postes, les conférences, etc.). Cela semble confirmé par le constat que si les petites entreprises versent des contributions à des fonds de formation continue à peu près aussi souvent que les grandes entreprises (25 et 27 % respectivement), ces dernières ont toutefois touché dans l’année de référence 2015 des versements de ces fonds ou autres subventions trois fois plus souvent que les petites entreprises (Stutz et Erlach 2018, p. 12).

Des systèmes de recensement tels que ceux de l’Office fédéral de la statistique ne peuvent généralement guère renseigner sur les stratégies explicites de formation continue, voire les motifs des responsables de la formation continue. Ces aspects ont été étudiés par Weil, Gonon, Schläfli et Hotz dans le cadre d’un sondage auprès de PME de Suisse alémanique dans les années 2005-2006 (Weil et al. 2007). L’étude s’appuyait sur les données de l’analyse secondaire d’un sondage quantitatif précédent (N = 1251) et sur une étude qualitative par interviews de responsables de la formation continue (N = 20) (Weil et al. 2007, p. 5). L’échantillon comprenait aussi bien des microentreprises que des petites et moyennes entreprises. En considérant particulièrement les PME présentant une grande activité de formation continue, les auteurs décrivent les «bonnes pratiques» en s’alignant sur quatre types d’entreprises – orienté organisation (1); orienté vers une compensation des déficits et les collaborateurs (2); orienté vers la résolution des problèmes et en fonction des besoins (3); et orienté tâches et clients (4) – et différencient encore les entreprises au sein de ces catégories en fonction de leurs stratégies de formation, des formes et des lieux de formation, des coopérations de formation continue et des perspectives d’avenir (Weil et al. 2008, p. 29 ss). Les auteurs sont ainsi en mesure de faire ressortir la forte influence d’aspects relevant de la culture d’entreprise, ainsi que le rôle de la confiance, de la coopération avec des intermédiaires (par exemple des associations) ou de l’identification avec ceux-ci. Une étude de suivi n’est malheureusement pas disponible; elle serait pourtant souhaitable pour poursuivre la discussion et pour approfondir et mettre à jour les constats.

Approche descriptive pour l’analyse des décisions de formation continue

Présenté ci-après, le bilan intermédiaire d’une étude qualitative se concentre sur les décisions en matière de formation continue dans les petites entreprises et microentreprises du point de vue des directrices et directeurs qui, tous, sont en même temps les responsables de la formation continue. L’étude vise à identifier le déroulement de la prise de décision en matière de formation continue, et à renseigner sur les critères d’influence et les stratégies. À cet effet, nous esquissons dans un premier temps l’approche théorique avant de décrire la conception empirique de l’étude et de discuter enfin les premiers résultats et leurs implications pour la promotion de la participation à la formation continue.

Dans une perspective théorique de la prise de décision, nous poursuivons une démarche descriptive qui s’efforce de comprendre les actes de décision comme phénomène partiel du comportement humain, où «[…] la personne p perçoit dans la situation donnée et au moment donné t0 (1) au moins deux possibilités alternatives d’action et (2) opte sur la base de critères définissables pour l’une de ces possibilités d’action» (Langenheder 1975, p. 37). À la différence de ce que cibleraient des théories normatives sur la prise de décision, il ne s’agit pas de déterminer la décision la plus appropriée, la moins coûteuse, la plus efficace, etc., mais de décrire comment les décisions sont effectivement prises. Faisant référence aux travaux de Cohen et de March (Cohen et al. 1972; March 1990), les décisions dans les organisations sont considérées comme «garbage can» et les organisations comme des accumulations de possibilités de choix (Cohen et al. 1990, p. 330 ss). Le «garbage can» (la poubelle en français) sert de métaphore pour le ramassis plutôt aléatoire d’options alternatives, de problèmes, de solutions et de parties prenantes, à partir duquel il peut, mais ne doit pas nécessairement y avoir une prise de décision. Ce modèle est en fin de compte un rejet de l’idée des processus de décisions linéaires, selon laquelle les décisions sont prises sur la base de considérations rationnelles et bien calculées, et remet en question des suppositions fondamentales telles que l’existence préalable d’objectifs, la cohérence des actes de décision, le primat du rationnel ou le caractère statique de préférences au sein des organisations (March 1990, p. 282 ss). Pour les organisations, Cohen et al. identifient trois styles de décisions: résolution des problèmes, décisions par inattention et décisions par déplacement du problème. Le style auquel on s’attendrait, où une décision a lieu par résolution du problème, est de loin le cas le plus rare (Cohen et al. 1990, p. 344 ss).

Conception de l’étude

La présente étude s’appuie sur les données de 17 interviews menées selon un fil directeur avec des directrices et directeurs de petites entreprises et microentreprises en Allemagne. L’échantillonnage s’est aligné sur les tailles d’entreprises ainsi que sur la classification allemande des secteurs économiques, dans le but d’assurer une hétérogénéité maximale des entreprises examinées. L’échantillon comprend des entreprises de 16 secteurs différents. Puisque la classification suisse comme la classification allemande correspondent à la nomenclature statistique des activités économiques dans la Communauté européenne (NACE), les deux classifications sont identiques, de sorte que les secteurs économiques représentés dans l’étude et saisis en Allemagne s’appliquent pareillement à la Suisse. Même si cela n’assure aucunement une transférabilité des résultats, on peut néanmoins constater que la situation des petites entreprises et microentreprises en Allemagne – considérant les critères mentionnés précédemment tels que la part quantitative, l’influence sur le système de l’emploi, etc. – est très similaire.

Le matériel des interviews comprend au total plus de 16 heures d’entretiens et plus de 400 pages de transcriptions. Pour le présent article et la présentation des premiers résultats provisoires, 9 interviews au total, soit un peu plus de la moitié de l’échantillon, ont pu être prises en compte. Les secteurs économiques pris en compte sont les suivants: secteur manufacturier (une imprimerie spécialisée), autres prestations économiques (un call-center et une agence de voyages), santé et domaine social (un centre interentreprises de médecine du travail), secteur minier (une entreprise minière), bâtiment (une entreprise de technique des accès par câble et de positionnement), agriculture et sylviculture (une coopérative agricole), commerce et réparation d’automobiles (un service de réparation de voitures), prestations indépendantes, scientifiques et techniques (une agence de marketing et de publicité). Les personnes interrogées sont âgées de 35 à 60 ans. Les microentreprises ainsi que les petites entreprises sont représentées. Les directrices et directeurs ont notamment été interrogés sur la valeur accordée à la formation continue et leurs expériences dans ce domaine, les raisons d’une participation ou non, leurs décisions quant à divers aspects de la formation continue en entreprise (financement, formalisation, formats, participantes et participants, prestataires, relevé des besoins, planification, réalisation, etc.), mais aussi sur les processus de négociation et les conflits. Les interviews ont fait l’objet d’une analyse inductive s’alignant sur la pratique de recherche de la Grounded Theory selon Strauss et Corbin (Strauss et Corbin 1996). En conséquence, le codage ouvert de l’ensemble du matériel est suivi d’un regroupement de codes au contenu similaire en catégories. Ces dernières constituent les principaux axes thématiques pour chaque interview. Les catégories ont ensuite été structurées dans le cadre du codage axial en utilisant un paradigme de codage (Strauss et Corbin 1996, p. 78 ss), en les classant par causes et conséquences ainsi que par stratégies d’action et circonstances intervenantes. En comparant les différentes interviews entre elles, quatre catégories essentielles ont pu être définies. Les catégories essentielles sont donc les points de référence communs de toutes les interviews, c’est-à-dire les thèmes, stratégies, aspects, etc., auxquels toutes les interviews font référence et qui sont pertinents pour toutes les personnes interrogées. Un codage sélectif a finalement été effectué en s’alignant sur ces catégories essentielles. Ces quatre catégories essentielles sont ci-après qualifiées de dimensions typologiques, puisque les différentes références qui y sont faites débouchent sur la définition de cinq types au total.

Résultats: dimensions des décisions de formation continue et types d’entreprise

Les quatre dimensions des décisions de formation continue englobent:

  • le parcours de formation des directrices et directeurs et leurs attitudes de valeur envers la formation continue en entreprise qui s’y associent;
  • les besoins et qualifications des collaboratrices et collaborateurs et la gestion du changement sur le marché du travail;
  • les décisions individuelles à propos de mesures de formation concrètes au sens strict;
  • le degré de formalisation des décisions relatives à la formation continue.

La première dimension «parcours de formation des directrices et directeurs et attitudes associées envers la formation continue en entreprise» est en même temps le facteur de prédiction le plus puissant pour les motifs évoqués pour les décisions de formation continue les plus diverses. Les expériences particulièrement favorables ou défavorables de la formation initiale et continue personnelle servent à justifier des décisions en matière de formation continue, de la promotion en force de la formation continue au rejet catégorique, notamment de formats de formation formels. Dans l’ensemble, il n’est pas surprenant que la valeur personnellement attribuée à la formation continue ait sur la décision de proposer ou non une formation continue et, si oui, dans quelle mesure, une influence plus importante que, par exemple, des analyses d’ensemble des activités ou des besoins, qui ne jouent de toute manière que très rarement un rôle.

La deuxième dimension entrant en jeu pour les décisions de formation continue des entreprises est celle des besoins attribués aux collaboratrices et collaborateurs ainsi que des exigences relatives à leur qualification dans l’entreprise. Les décisions en matière de formation continue diffèrent en fonction de la complexité des tâches à effectuer, mais aussi de la diversité des profils de qualification disponibles et requis. Il est évident qu’avec une augmentation des niveaux de qualification et de la diversité des profils de qualification du personnel, la disposition de principe à proposer une formation continue croît. Pourtant, le niveau de qualification des employés à lui seul n’est pas une variable prédictive pour des pratiques de décision données. Les décisions de formation continue comme réaction au marché de la main-d’œuvre font partie de la même catégorie. Notamment, l’ambivalence des directrices et directeurs qui doivent, d’une part, réagir absolument aux besoins de qualification par la formation continue mais qui, d’autre part, doivent craindre de perdre ensuite des collaboratrices et collaborateurs bien formés et d’avoir ainsi à compenser des pertes importantes sur leur investissement, caractérise cette catégorie. Mais même si les niveaux de qualification au sein de l’entreprise sont plutôt modestes, la question de savoir dans quelle mesure des conflits de rôle pourraient apparaître avec des collaboratrices et collaborateurs «trop bien» formés entre en jeu pour la décision.

La troisième dimension regroupe les affirmations à propos de mesures de formation concrètes, et englobe notamment les décisions relatives au contenu, au format, au prestataire et aux coûts de mesures données. Pour la présente étude, nous avons utilisé une notion de formation continue qui ne se limite pas aux mesures financées au moins en partie par l’entreprise et ayant lieu en tout ou partie dans le cadre des horaires de travail. Cette notion de formation continue inclut tous types d’arrangements organisationnels permettant et favorisant l’apprentissage et l’acquisition de nouvelles connaissances, et déclarés comme tels par les personnes interviewées. Dans la mesure où de tels arrangements font partie de l’inventaire organisationnel (par exemple entretien et utilisation de wikis, mise à disposition de revues professionnelles, etc.), ils sont attribués à la formation continue d’entreprise. Même s’il s’agit ici de décisions de formation continue dans un sens plus spécifique, les affirmations, notamment à propos du choix des contenus, des formats et des prestataires, restent – même après des demandes de précisions dans les interviews – à un niveau étonnamment abstrait. Usuellement, on atteste au contenu une importance primordiale pour la décision de formation continue et vise un rapport approprié coûts-bénéfices. Si l’on est en général tout au moins en mesure de chiffrer précisément le coût maximal, le primat du contenu ainsi que la sélection des formats et des prestataires ne se reflètent que rarement dans des considérations et des réflexions détaillées.

La quatrième dimension concerne le degré de formalisation de la formation continue dans l’entreprise, y compris l’organisation de formations continues obligatoires prescrites par le législateur ou les associations professionnelles. Si la formation continue n’a été inscrite au budget dans aucun des cas examinés, et si l’on ne rencontre que dans des cas d’exception une stratégie déterminée de formation continue, on a pourtant pu décrire dans tous les cas une multitude de règles et de stratégies formelles et informelles. Elles vont de différentes obligations réglées au niveau des contrats de travail à diverses routines, règles et pratiques implicites, spécifications qualitatives et quantitatives, etc.

Types d’entreprises

Comme décrit plus haut, on distingue en s’alignant sur ces quatre dimensions typologiques cinq types d’entreprises, tous ces types faisant référence aux dimensions mentionnées, mais chacun à sa façon spécifique et distincte. On a pu faire la distinction entre les types suivants:

(1)   entreprises avec des décisions de formation continue stratégiques et calculées;

(2)   entreprises avec des décisions de formation continue défensives et réticentes au risque;

(3)   entreprises avec des décisions de formation continue intuitives et créatives;

(4)   entreprises avec des décisions de formation continue progressistes et disposées au risque;

(5)   entreprises avec des décisions de formation continue routinières et automatisées.

Les entreprises avec des décisions de formation continue stratégiques et calculées soulignent dans les différentes dimensions un comportement de décision fondé sur des critères et particulièrement «rationnel». Les décisions de formation continue sont prises stratégiquement dans la mesure où l’on poursuit un objectif stratégique (par exemple «je fais des experts de tous mes employés» (IP6). Les décisions de formation continue s’alignent sur cet objectif stratégique, qui est en même temps la préférence de décision dans toutes les dimensions. Dans l’interview, ce n’est donc pas seulement le parcours de formation personnel qui est présenté comme grand projet stratégique, mais l’inclusion ou l’exclusion de collaboratrices et collaborateurs individuels aux activités de formation, les formalisations et autres aspects apparaissent également comme résultat de choix objectifs et stratégiques.

Les entreprises avec décisions de formation continue défensives et réticentes aux risques prennent leurs décisions de formation de façon particulièrement hésitante, et soulignent les risques associés à la formation continue et les résistances des collaboratrices et collaborateurs. La formalisation sert essentiellement à la sécurisation, et la charge de travail élevée du personnel crée des difficultés particulières pour l’organisation de la formation continue. Par conséquent, on n’envisage que des formations continues dont on a la certitude qu’elles répondent aux besoins du personnel et où l’on ne court pas le risque de décevoir les collaboratrices et collaborateurs.

Les entreprises avec des décisions de formation continue intuitives et créatives font état dans la présente étude d’expériences plutôt défavorables, notamment avec des formations continues structurées sous forme de cours ou de séminaires. Un aspect central pour ce type d’entreprise est l’idée qu’une directrice ou un directeur sait ce qui est le mieux pour le personnel, et qu’il est important de se fier à son intuition et à son instinct plutôt qu’à des standards, qu’à des analyses approfondies des besoins, etc. Notamment lorsque le niveau de qualification requis dans l’entreprise est relativement peu élevé, on nie que cela pourrait valoir la peine d’investir des ressources pour des offres de formation continue. Au lieu de cela, on évoque des méthodes plus «créatives», telles que le coaching du personnel dans le cadre du processus de travail par la directrice ou le directeur en personne, ou même des «astuces» prétendument plus efficaces que les offres de formation continue sous forme de cours ou de séminaires.

Les entreprises où dominent les décisions de formation continue progressistes et disposées au risque attribuent une importance élevée à la formation continue et sont particulièrement ouvertes aux nouveaux contenus, formats et prestataires. Les directrices et directeurs font état d’une vaste expérience favorable de la formation continue dans leur propre parcours de formation, et expliquent ainsi leur attitude relativement ouverte et non limitée à une discipline donnée envers la formation continue du personnel. Les risques sont énoncés, mais acceptés, et l’on mobilise des ressources pour établir dans l’entreprise un modèle progressiste de formation continue.

Les entreprises avec des décisions de formation continue routinières et automatisées font état d’un degré élevé de pratiques de formation continue institutionnalisées. On remarque que les directrices et directeurs de ces entreprises ont, dans tous les cas examinés, un diplôme d’études supérieures et décrivent la formation continue comme un devoir ou une évidence. Toutes les entreprises de ce type présentent des profils d’activité aux exigences de qualification élevées, ainsi qu’une grande diversité de profils de qualification. On peut supposer que les routines relativement nombreuses sont une réaction à la complexité des décisions à prendre en matière de formation continue. Le comportement de décision routinier se manifeste par une forte orientation processus – autrement dit, on a affaire à des formalisations très poussées, comme des dispositions dans les contrats de travail ou des plans de formation continue qui servent à traiter divers contenus à un rythme donné (la plupart du temps annuel). En même temps, on ne trouve dans ce type d’entreprise que peu de marge de manœuvre pour des changements et des renouvellements.

Implications pour les prestataires de formation continue

Même si la présente étude vise avant tout à renseigner sur les pratiques de décision du point de vue des directrices et directeurs d’entreprise, on peut identifier avec prudence de premières implications qui pourraient être intéressantes pour les prestataires de formation continue. Ces implications concernent surtout des questions relatives à l’assistance-conseil en formation ainsi que la promotion des offres. Il est probable qu’une sensibilisation aux voies de décision des directions d’entreprise peut accroître la mesure dans laquelle ces dernières font confiance aux offres des prestataires, et donc améliorer en fin de compte les chances de participation des collaboratrices et collaborateurs. En même temps, les prestataires sont confrontés à la difficulté que les types susmentionnés ne sont pas évidents à reconnaître puisque, sur la base des résultats obtenus jusqu’à présent, un rapport avec le secteur d’activité ou d’autres indicateurs directement observables est incertain, voire même improbable. Les résultats de l’étude peuvent toutefois apporter aux prestataires une première aide pour mieux comprendre les voies de décision dans les petites entreprises et microentreprises et mieux réfléchir ainsi à l’effet de leurs offres sur les entreprises.

Par ailleurs, on peut également tirer profit des résultats de l’étude sous une autre forme: comme nous l’avons décrit, il est usuel dans les entreprises de cette classe de taille que les directrices et directeurs prennent eux-mêmes les décisions de formation continue pour l’ensemble de l’entreprise. On peut par conséquent, en s’alignant sur les dimensions typologiques évoquées, formuler pour les entretiens initiaux et de conseil des questions qui permettraient de procéder à une analyse typologique et de renforcer ainsi l’orientation clients. Un inventaire de questions, applicable dans la pratique, ne devrait pas être conçu de manière trop ouverte et s’aligner sur les types présentés. Un exemple d’une question adéquate et d’options de réponse possibles pourrait être (ici pour la quatrième dimension degré de formalisation):

Quelle affirmation vous paraît la plus vraie en ce qui concerne l’organisation de la formation continue dans votre entreprise?

  • La formation continue suit un plan et est alignée avec précision sur les objectifs de l’entreprise (comme indice du type I: stratégique et calculé).
  • Je pèse longtemps mes décisions de formation continue dans l’espoir de couvrir exactement les besoins avec la formation continue choisie (comme indice du type II: défensif et réticent au risque).
  • La formation continue ne peut pas être planifiée et doit être décidée instinctivement (comme indice du type III: intuitif et créatif).
  • La planification de la formation continue doit laisser assez d’espace pour essayer du nouveau (comme indice du type IV: progressif et disposé au risque).
  • Nos formations continues ont lieu régulièrement à un rythme déterminé (comme indice du type V: routinier et automatisé).

Le savoir sur les prises de décisions en matière de formation continue dans les petites entreprises et les microentreprises peut donc aider les prestataires à cibler encore mieux leurs offres, à augmenter la disposition des entreprises à participer, et à permettre finalement à encore plus de personnes de bénéficier d’une formation continue.

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Christian Müller, collaborateur scientifique à la chaire de formation des adultes, spécialisations formation professionnelle continue et recherche comparative sur la formation, de l’Université technique de Dresde. Contact: christian.mueller13@tu-dresden.de