22.11.2022
N°2 2022

Évolution de la formation continue/des adultes pendant la phase d’expansion de l’éducation des années 1960 et 1970

La situation de la formation continue a fondamentalement changé au cours des années 1960 et 1970: cela s’explique par l’existence du boom économique, qui s’accompagna de changements déterminants dans les qualifications recherchées sur le marché du travail, ainsi que par un grand manque de main-d’œuvre spécialisée. Mais l’institutionnalisation et la professionnalisation de la formation continue doivent aussi être considérées comme s’inscrivant dans une phase d’expansion plus générale de l’éducation. De nouveaux rôles apparurent ensuite dès le milieu des années 1970, en conséquence de la crise économique qui suivit les chocs pétroliers. En plus de ses fonctions endossées pendant le boom économique (à savoir l’obtention et le développement des qualifications), la formation continue contribuait alors à la lutte contre le chômage.

«Mais dans un futur proche, les tâches les plus importantes se présenteront probablement dans le domaine de la formation continue.»

(Gretler, 1985, p. 22)

Formation continue, formation complémentaire, formation à l’âge adulte et éducation des adultes, éducation récurrente, apprentissage tout au long de la vie ou «éducation permanente», éducation quaternaire, et probablement bien d’autres termes encore1 servent à désigner un phénomène qui a fortement gagné en importance au cours des cinquante dernières années. Cependant, sur le plan historique, celui-ci remonte plus loin que la phase d’expansion de l’éducation des années 1960 et 1970 dont nous allons traiter ici. Cet article montre tout d’abord comment ce secteur de l’éducation a progressivement évolué depuis la fin du XVIIIe siècle, puis comment il a commencé à s’institutionnaliser et à se différencier pendant le premier tiers du XXe siècle. Ensuite, dans le cœur de l’article, nous nous demanderons comment et pourquoi des changements de significations et des processus d’institutionnalisation ont eu lieu dès la deuxième moitié du XXe siècle.2 Enfin, dans la dernière partie, nous évoquerons plusieurs conséquences ainsi que d’autres évolutions qui ont eu lieu après le milieu des années 1970.

1. La tradition de la formation continue/des adultes

Historiquement, les efforts en matière d’éducation ne furent pas orientés uniquement vers les enfants et les adolescents. Dès la deuxième moitié du XVIIIe siècle au plus tard, le processus d’alphabétisation de la population visa aussi un public adulte. Les premiers efforts prirent la forme de sociétés de lecture dans lesquelles des adultes s’associaient pour acheter ensemble livres et journaux, les lire puis débattre de ce qu’ils avaient lu (Bachmann, 1993). Dès la fin du XVIIIe siècle, les sociétés économiques, les sociétés savantes ainsi que les sociétés de bienfaisance étaient des lieux et des formes de socialisation associées à une certaine exigence en matière d’éducation des adultes (Bachmann-Di Michele, 1992). Puis, au XIXe siècle, des associations les plus diverses endossèrent aussi des fonctions dans la formation continue. Certes, les attentes en matière d’éducation des adultes s’adressaient surtout, dans un premier temps, aux catégories plus aisées de la population. Mais dès le milieu du XIXe siècle, les travailleur·euse·s et employé·e·s commencèrent à s’associer sous forme de groupes d’entraide (Société du Grütli, associations d’employé·e·s de commerce) et à se pencher, entre autres, sur les questions de formation.

Ce phénomène mena aux premiers comités d’éducation ouvrière, déjà apparus avant la Première Guerre mondiale: dès 1912, l’Union syndicale suisse et le Parti socialiste suisse fondèrent ensemble la Centrale suisse d’éducation ouvrière (König, 1977; Gschwend et al., 1987; Criblez, 2020). L’éducation ouvrière devint un sujet souvent débattu, surtout au cours des années 1920. Mais après la Première Guerre mondiale, les représentant·e·s de l’éducation ouvrière se démarquèrent clairement (Reinhard, 1924) des universités populaires apparues dans certaines villes (Bähler, 1921) car, selon ces représentant·e·s, les universités populaires s’inscrivaient dans un programme de la bourgeoisie cultivée. L’éducation ouvrière englobait l’éducation, mais aussi l’agitation et la lutte des classes; en plus des cours généraux, le parti et les syndicats investissaient aussi particulièrement dans la formation aux postes de fonctionnaires (Criblez, 2020).

En plus des institutions d’éducation ouvrière et des universités populaires, qui se revendiquaient idéologiquement neutres, l’éducation des adultes adopta aussi une troisième forme (Dominicé & Finger, 1991, pp. 12-13) inspirée du modèle danois, appelée foyers d’éducation populaire. Ce fut le cas, notamment, du foyer d’éducation populaire d’Herzberg fondé en 1935 par Fritz Wartenweiler (Wartenweiler, 1935). Ce modèle visait à se libérer du caractère superficiel des deux autres modèles et à proposer aux jeunes adultes, sur une durée prolongée (dans la plupart des cas à la campagne), des possibilités de formation continue ou d’orientation et de réflexion au sein d’un lieu de vie commun.

La formation professionnelle continue commença également à s’établir dès la première moitié du XXe siècle, surtout sous forme de formations à la direction et gestion d’entreprise (Geiss, à paraître). Dans la Loi fédérale sur la formation professionnelle (LFPr) de 1930, deux formats de formation furent d’ailleurs institutionnalisés: les écoles spécialisées d’une part (art. 25) et les examens professionnels supérieurs d’autre part (art. 42 et suivants). Le premier format existait depuis la fondation du premier «Technikum» (haute école technique) en 1874 à Winterthour. Les écoles spécialisées avaient en tête la tradition du Technikum, tandis que les examens professionnels supérieurs s’appuyaient sur celle de l’examen de maîtrise. «Les associations professionnelles peuvent organiser, aux conditions énoncées ci-après, des examens de maîtrise légalement reconnus ou d’autres examens professionnels supérieurs» (LFPr, 1930, art. 42). La Confédération encourageait ce type d’efforts dans le domaine de la formation continue, en accordant des subventions.

2. La formation continue pendant la phase d’expansion de l’éducation des années 1960 et 1970

La période qui s’étendit des années 1950 jusqu’au milieu des années 1970 fut marquée par une forte croissance économique, presque le plein emploi dans les années 1960 et au début des années 1970, ainsi que par le développement de la technologie et une forte augmentation du taux de natalité. Ce dernier élément constitua un moteur essentiel dans l’expansion de l’enseignement: de plus en plus d’élèves, de nouvelles écoles et d’enseignant·e·s (cf. Criblez, 2001). Mais, dans un premier temps, l’évolution démographique eut à peine d’effet sur la formation continue et l’éducation des adultes. En revanche, la croissance économique et l’évolution de l’économie jouèrent un rôle multiple dans les changements observés au niveau de la formation continue. Parallèlement au boom économique, l’État social fut renforcé. Un certain optimisme envers l’avenir se répandait chez une large partie de la population. Cet état d’esprit transparaissait non seulement dans la technicisation croissante (notamment dans les foyers: réfrigérateur, machine à laver, aspirateur, cuisinière électrique, téléviseur, sèche-cheveux, etc.), mais aussi dans l’(auto)mobilité grandissante et le fait que les familles moyennes avaient les moyens de s’offrir bien plus (consommation, vacances, loisirs) que jamais auparavant (Halbeisen et al., 2012).

L’optimisme éducatif

L’apogée économique, aussi connue en France sous le nom des «Trente Glorieuses» (Fourastié, 1979), fit naître des espoirs d’ascension sociale. D’une part, les travailleur·euse·s suisses profitaient (plus les hommes que les femmes) de l’arrivée d’une nouvelle couche sociale en tant que main-d’œuvre: un phénomène où les travailleur·euse·s immigrés exerçaient, de plus en plus, les professions simples et moins bien payées. Ainsi, l’ascension sociale n’était plus uniquement possible sur plusieurs générations, mais maintenant au cours d’une seule génération. D’autre part, il était à présent également possible de réussir cette ascension sociale par soi-même grâce à l’ouverture de l’éducation supérieure, à de nouvelles offres éducatives telles que le Technikum en cours du soir ou à de nouvelles possibilités de formations gymnasiales avec certificat de maturité pour les adultes, et aussi grâce aux efforts croissants de formation continue au sein des entreprises. Dans les années 1960 surtout, sur ce fond d’optimisme éducatif largement répandu, le «rêve américain» semblait pour beaucoup réalisable.

Mais ce n’est pas seulement du côté des employé·e·s qu’un vent de renouveau soufflait: les entreprises étaient aussi entrées, pour ainsi dire, dans une «spirale de croissance» à la sortie de la Seconde Guerre mondiale. Les processus de croissance économique s’accéléraient (Kneschaurek, 1964, p. 151), alors même que dans le monde politique et économique suisse, on avait d’abord prédit un retour de la dépression économique des années 1930 (Blättler, 1999, p. 49). Mais ce fut bien le contraire qui se passa avec, avant tout, la «constellation politique mondiale» qui stimula la croissance (Kneschaurek, 1964, p. 152). «Tous ces facteurs vinrent simultanément alimenter un climat psychologique favorable à la croissance qui, par l’adoption d’une attitude optimiste, contribua de manière non négligeable à soutenir et à potentialiser l’expansion économique générale» (Kneschaurek, 1964, p. 152).

La croissance était alimentée par un souhait de se rattraper après les années de guerre, associé à l’existence de besoins supplémentaires créés par l’évolution démographique (ou l’augmentation de la population). Mais un moteur important de la croissance fut surtout la technicisation, due notamment aux recherches effectuées dans le domaine des techniques militaires pendant la guerre (p. ex. l’énergie atomique). Un deuxième moteur de croissance fut aussi le déplacement des emplois agricoles et forestiers, tout comme ceux liés à la production artisanale et commerciale, vers les usines et le secteur tertiaire (Stocker, 1962). Troisièmement, en plus de ces deux processus, on observa dans de nombreuses professions une hausse des exigences requises, également décrite comme une «intellectualisation croissante des métiers» (Nyikos, 1967).

Le manque de main-d’œuvre qualifiée

Tous ces développements eurent lieu dans un contexte où l’on manquait de plus en plus de main-d’œuvre bien qualifiée. Les premières publications qui ne prédisaient plus le retour de la crise économique d’avant-guerre (Blättler, 1999, p. 49) parurent dès le milieu des années 1950 environ. Dans certains secteurs (le métier d’enseignant·e par exemple), le manque avait déjà conduit à des mesures d’urgence au niveau de la formation dès la deuxième moitié des années 1940 (Criblez, 2017). Mais l’attention politique et publique envers ce problème qui s’aggravait s’intensifia à grande vitesse surtout dans la deuxième moitié des années 1950 et au début des années 1960.

Le Conseil fédéral fit appel à des commissions d’expert·e·s avec tout d’abord l’«Arbeitsausschuss zur Förderung des wissenschaftlichen und technischen Nachwuchses» (Commission de travail pour l’encouragement de la relève scientifique et technique) qui rendit son rapport final en 1959. D’autres rapports suivirent, entre autres en 1964 celui de la «Eidgenössische Kommission für Nachwuchsfragen auf dem Gebiete der Geisteswissenschaften und der medizinischen Berufe sowie des Lehrerberufes auf der Mittelstufe» (Commission fédérale pour les questions de la relève dans le secteur des sciences humaines, dans les professions médicales et dans les professions de l’enseignement au degré secondaire). Les résultats des analyses étaient clairs: une grande pénurie de main-d’œuvre qualifiée s’annonçait, d’abord dans les secteurs scientifiques et techniques, mais ensuite également pour toutes les autres professions nécessitant une formation poussée. Ces prévisions se réalisèrent ensuite, surtout dans les années 1960: on se trouva, à peu de choses près, dans une période de plein emploi. En combinaison avec les espoirs d’ascension sociale (voir plus haut), le marché du travail se trouvait fortement dynamisé.

Les conclusions politiques des rapports d’experts étaient largement aptes à permettre un consensus entre les différents partis. Les débats sur l’égalité des chances commençaient tout juste au début des années 1960. Une conférence de l’OCDE à ce sujet avait eu lieu en 1961 et les recherches en sociologie de l’éducation, en plein essor à cette époque, avaient, pour la Suisse aussi, décrit les catégories de personnes désavantagées par le système éducatif (OCDE, 1961/1967; Hess, Schneider & Latscha, 1966). Ces débats motivaient les partis de gauche à proposer un grand nombre de réformes. Les partis bourgeois, quant à eux, étaient prêts à accepter une ouverture de l’éducation supérieure afin d’endiguer au maximum le manque de main-d’œuvre. Cette coïncidence d’objectifs divergents qui, apparemment, pouvaient être atteints par les mêmes mesures, a également joué un rôle dans l’optimisme éducatif des années 1960.

La formation continue gagne en importance

Dans ce contexte, on accorda aussi de plus en plus d’importance à la formation continue, et cela pour plusieurs raisons (Bottani et al., 1975). Tout d’abord, parce que certaines professions disparaissaient à cause de la technicisation et à cause du déplacement des emplois entre les différents secteurs économiques. Pour rendre possible un changement de profession à l’âge adulte (reconversion), parfois indispensable, la formation continue apparaissait de plus en plus comme la stratégie optimale de résolution des problèmes (Bottani et al., 1975, pp. 18-19). Par ailleurs, face à l’économie qui se transformait à toute vitesse, de plus en plus de qualifications acquises lors de l’éducation de base se trouvaient maintenant dévaluées. Il paraissait donc de plus en plus nécessaire de compléter ses apprentissages dans son propre métier. De plus, en conséquence de la transformation économique et de la technicisation, des qualifications nouvelles ou différentes étaient alors demandées (voir plus haut). La formation continue était une bonne solution autant pour l’obtention de nouvelles qualifications que pour compléter les qualifications existantes. En outre, le manque de main-d’œuvre eut pour conséquence que les entreprises et les employeur·euse·s cherchaient à recruter du personnel en rendant le poste plus attrayant. Une telle mesure pouvait consister, par exemple, à offrir aux salarié·e·s des opportunités de formation continue, interne ou externe à l’entreprise. Enfin, à partir des années 1970, des organisations internationales (en tête desquelles le Centre pour la Recherche et l’Innovation dans l’Enseignement CERI, de l’OCDE) donnèrent les premières impulsions pour se pencher de manière plus intensive sur le développement de la formation continue (CERI, 1973).

Une des conséquences fondamentales de ces développements fut la fondation d’un grand nombre de nouvelles institutions de formation continue, et l’institutionnalisation d’associations et d’organisations dans le secteur de l’éducation pour adultes. De nouveaux acteurs entrèrent en jeu, ce qui fut accompagné par une multiplication des entités responsables. (Rohrer et Sgier  1995, p. 10 et ss; Schläfli et Gonon 1999, p. 30 et ss; Schläfli et Sgier 2008, p. 27 et ss) distinguent six catégories principales de prestataires à l’issue de ce processus:

  • entités publiques (Confédération, cantons, villes; p. ex. écoles professionnelles, universités);
  • entités privées orientées vers l’utilité publique (p. ex. universités populaires, formations à la parentalité, École-club Migros);
  • entités privées à orientation commerciale (p. ex. écoles de langue, écoles de formation à l’informatique, cours de gestion, etc.);
  • entreprises: formations internes;
  • entités confessionnelles, politiques, idéologiques ou issues d’un partenariat social (p. ex. centres d’éducation religieuse, Centrale suisse d’éducation ouvrière, etc.);
  • particuliers ou groupes auto-organisés.

L’engagement croissant de l’État

Parallèlement à ces processus, l’État (Confédération et cantons) commença à s’intéresser plus fortement à la formation continue et à s’y engager plus intensément (Geiss, 2016). En ce qui concerne la Confédération, cela apparaît le plus clairement à travers les deux révisions de la Loi fédérale sur la formation professionnelle parues en 1963 et 1978 (messages, 1962, 1977). En 1963, la formation continue fut explicitement introduite comme faisant partie de la formation professionnelle. Dorénavant, les écoles d’ingénieurs étaient explicitement mentionnées dans la loi, et les subventions de la Confédération furent augmentées pour en permettre le financement (Claude, 1987, p. 17). En 1978, l’examen professionnel fut introduit comme deuxième possibilité d’examen à côté de l’examen de maîtrise. Les écoles techniques et les écoles supérieures de cadres pour l’économie et l’administration (ESCEA) étaient à présent explicitement mentionnées, mais elles étaient toujours indiquées comme faisant partie de la formation continue (message, 1977, p. 708).

Cependant, ce n’est pas seulement la formation professionnelle continue qui devait être subventionnée, mais aussi l’éducation générale des adultes. Les cantons étaient en fait responsables pour cela, car la compétence de la Confédération, limitée au domaine de la formation continue, ne lui permettait pas de procéder à un tel financement. C’est pourquoi la Confédération avait commencé à subventionner l’éducation des adultes et notamment sa fédération faîtière, la Fédération suisse pour l’éducation des adultes, par le biais de la fondation culturelle Pro Helvetia. Toutefois, ce subventionnement resta toujours plus précaire que celui de la formation professionnelle continue en application de la Loi sur la formation professionnelle – même après le rapport de la Commission fédérale d’experts pour l’étude de questions concernant la politique culturelle suisse (1975) qui recommandait urgemment un meilleur financement de l’éducation des adultes.

Les efforts d’expansion de la formation professionnelle continue furent presque tous couronnés de succès dans les années 1960 et 1970 (seuls les examens professionnels avaient quelque difficulté à démarrer). Le fait que l’économie avait un urgent besoin de personnel bien qualifié n’y était pas pour rien. Le secteur des hautes écoles spécialisées, par exemple, était en plein essor dans les années 1970: on n’avait de cesse d’en ouvrir de nouvelles dans toujours plus de branches. On peut mentionner notamment les ESCEA, créées puis largement étoffées dans les années 1970 (Maienfisch, 2018). De manière générale, le nombre de diplômé·e·s des hautes écoles spécialisées augmentait fortement, bien que la formation d’ingénieur·e au «Technikum» restait le type de formation continue le plus fréquenté. Cette croissance quantitative fut probablement due, en partie, à l’introduction de nouveaux modèles de cours qui pouvaient être suivis en parallèle à une activité professionnelle (Technikum en cours du soir)!

Les cantons aussi commencèrent à encourager la formation continue et à lui apporter un soutien financier. Cela apparaît le plus clairement dans la formation continue pour les professeur·e·s: un corps de métiers pour lequel autant la formation que l’emploi sont monopolisés par l’État. La plupart des cantons mirent en place des centres publics de formation complémentaire pour les professeur·e·s dans les années 1970. Ces derniers visaient à accroître l’attractivité du métier d’enseignant·e où le manque de personnel était énorme, avec l’espoir de créer des «possibilités d’ascension» professionnelle (Weilenmann, 1964) pour les professeur·e·s (Criblez, 2000). Toutefois, cette mesure ne fut pas sans équivoque: en effet, pendant le boom économique, les professeur·e·s ayant accompli une formation continue trouvaient encore plus facilement un emploi en dehors de l’enseignement, ce qui ne faisait qu’aggraver le manque d’enseignant·e·s.

Diversité des entités responsables dans le paysage de l’éducation des adultes

Même l’éducation des adultes, qui ne s’orientait pas en premier lieu vers une qualification professionnelle, se développa fortement pendant les Trente Glorieuses. En 1951 déjà, les entités responsables s’étaient associées pour fonder la Fédération suisse pour l’éducation des adultes (FSEA). L’École-club Migros est probablement l’exemple le plus célèbre de développement dans ce secteur. À sa fondation en 1944, elle se concentrait essentiellement sur les cours de langues pour adultes. À partir de 1948, son offre s’étendit pour inclure surtout les arts appliqués puis, dans un deuxième temps, les loisirs et la vie quotidienne de manière générale (König, 1977, volume 1, pp. 29 et ss; Dominicé & Finger, 1991). Dans ce secteur aussi, les innovations technologiques jouaient un rôle essentiel, comme le montre par exemple la formation continue aux outils d’enseignement audiovisuels à destination des professeur·e·s de langues, introduite en 1967.

Un des résultats de cette évolution institutionnelle multiple fut un certain manque de clarté, si bien que des vues d’ensemble écrites furent publiées pour la première fois dans les années 1970 (p. ex. König, 1977). Une deuxième conséquence fut que l’on commença à réfléchir à la formation du personnel. Dès 1971, l’aeB de Lucerne (académie d’éducation des adultes) proposait des cours de formation pour formateurs et formatrices d’adultes (Dominicé & Finger, 1991, pp. 80 et ss). Troisièmement, les premiers débats sur les normes de qualité dans la formation continue apparurent, mais ceux-ci ne commencèrent à s’imposer vraiment que dans les années 1990 et 2000.

3. Conséquences et développements ultérieurs

D’après Dominicé et Finger, une nouvelle phase pour l’éducation des adultes et la formation continue apparut vers le milieu des années 1970. Cette phase est décrite comme étant marquée par une «érosion de l’objectif éducatif des Lumières et des Temps modernes» (Dominicé & Finger, 1991, p. 16) et par l’éveil progressif d’une conscience des «limites de la croissance» (Maedows et al., 1972). L’optimisme éducatif devint scepticisme éducatif: un phénomène que Konrad Widmer, professeur de pédagogie à Zurich, décrivait déjà (alors même que ce changement était encore en cours) comme un changement de tendance «d’une euphorie éducative vers une résignation éducative» (1976, p. 13). Les objectifs éducatifs sociopolitiques des années 1960 furent pour le moins relativisés. Ceux-ci visaient entre autres à accroître l’équité des chances par le biais de la formation continue, à rendre possible l’ascension sociale et à améliorer la mobilité sociale en général, mais aussi à contribuer, grâce à la formation continue, à poursuivre le processus de démocratisation (Rohrer & Sgier 1995, pp. 33-34).

Les structures de formation continue, qui avaient été fondées puis agrandies, furent dorénavant utilisées notamment pour gérer les conséquences du chômage. Ainsi, la formation continue endossait une fonction supplémentaire, qui avait déjà fait ses preuves durant les années 1930. Dans ses programmes d’intervention de crise dans le cadre de la crise économique mondiale, la Confédération avait formulé deux objectifs et mis à disposition des fonds fédéraux à cet effet. Premièrement, les mesures de formation continue devaient servir à accompagner les «chômeur·euse·s vers d’autres branches professionnelles» au moyen d’une reconversion. Deuxièmement, on attendait de la formation continue, dans le métier appris, qu’elle puisse mener à des possibilités d’emploi plus polyvalentes pour le salarié (Botschaft 1933, pp. 292-293). Dorénavant, la formation continue pouvait être financée, du moins en partie, par l’assurance chômage: si bien que la formation continue à orientation professionnelle passa de nouveau au premier plan vis-à-vis de l’éducation générale des adultes. À partir de ce moment, la formation continue n’était plus considérée en premier lieu comme une «contribution au renouveau social» (Gonon, Schläfli, Sgier & Gfrörer, 1998, pp. 29 et ss), mais comme un moyen de venir à bout de la crise économique.

Les années 1980 sont considérées comme une période de latence en ce qui concerne les réformes de l’éducation (Hoffmann-Ocon & Criblez, 2017); cela vaut probablement aussi pour le secteur de la formation continue en général. À cette époque, certaines évolutions s’annoncèrent très tôt et devaient mener à des développements, surtout à partir des années 1990. Pour conclure, il est possible de citer ci-après quelques exemples qui témoignent de ce phénomène, à commencer par le troisième rapport du Conseil suisse de la science sur le développement des hautes écoles, publié en 1978, qui désignait déjà la formation continue comme l’une des branches universitaires où le besoin de développement était le plus important. Mais les mises en pratique n’eurent lieu que dans les années 1990, dans le cadre de l’«offensive de formation continue» lancée par la Confédération. Les tentatives de documenter statistiquement le domaine de la formation continue ont tout d’abord échoué, mais ont abouti depuis le début des années 1990 à des rapports réguliers de l’Office fédéral de la statistique qui ont mis en évidence différents biais du «marché» de la formation continue et attiré l’attention sur les groupes qui s’y trouvent défavorisés (OFS, 1993). De nouveaux groupes cibles sont devenus un enjeu de la politique en matière de formation continue (formations pour les personnes à faible niveau de compétences, formations de rattrapage, formation pour les migrant·e·s, formation pour les retraité·e·s, etc.). Après le déclin de la crise économique, la différenciation traditionnelle entre éducation générale des adultes et formation professionnelle continue fut, elle aussi, de plus en plus relativisée (Rohrer & Sgier, 1995, pp. 31 et ss). Enfin, dans les années 1990, la recherche scientifique commença aussi à se soucier du domaine de la formation continue, dans un premier temps surtout dans le cadre du Programme national de recherche 33 sur l’«Efficacité des systèmes de formation».

  1. Ci-après, les termes génériques «formation continue» (pour les activités qui tendent vers une qualification professionnelle) et «éducation des adultes» (pour les activités à tendance plutôt générale) seront utilisés à cette fin. Cela dit, d’un point de vue historique, ces termes ont en partie possédé des connotations différentes et été utilisés de manière bien démarquée. En revanche, dans les citations et références, les termes de l’époque sont préservés. En langue allemande, le terme «Weiterbildung» (formation continue) a progressivement remplacé celui de «Fortbildung» (formation complémentaire) depuis les années 2000. Dans le même temps, une terminologie proposée par l’UNESCO a commencé à s’imposer, faisant la différence entre l’éducation formelle, non formelle et informelle. Selon cette terminologie, la formation continue et l’éducation des adultes appartiennent la plupart du temps à l’éducation non formelle.
  2. Concernant l’évolution historique: cf. les vues d’ensemble dans Dominicé & Finger,  1991; Schläfli & Gonon, 1999; Schläfli & Sgier, 2008. Concernant l’évolution de certaines institutions: Dominicé & Finger, 1991; König, 1977.

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