22.11.2022
N°2 2022

Formation continue pour les travailleur·euse·s, migrants en Suisse (1960-1980): initiatives personnelles, offres de formation, intentions

Après 1960, des associations italiennes ont créé en Suisse leurs propres centres de formation continue qui dispensaient des formations spécialement adaptées aux travailleur·euse·s migrants. L’offre englobait la formation continue à des fins professionnelles, des cours de langue ou de culture générale. En conséquence, une offre de formation riche et diversifiée s’est développée jusqu’en 1980. Elle devait favoriser l’ascension sociale des travailleur·euse·s italiens et leur permettre de participer à la vie de la société. Les cours étaient toujours conçus de manière à permettre des passerelles vers d’autres formations, tant en Italie qu’en Suisse. Même si les diplômes professionnels de ces institutions n’ont jamais été officiellement reconnus dans le système de formation et d’emploi en Suisse, ils étaient appréciés des entreprises suisses. Cet article présente le contexte dans lequel les activités des organisations italiennes dans le secteur de la formation continue se sont déroulées en Suisse, à quelles fins une offre de formation a été développée et comment les prestataires de formation continue ont réagi à l’hétérogénéité de la migration italienne en Suisse.

Les offres de formation continue spécialement destinées aux migrant·e·s sont parfaitement justifiées si l’on en juge la demande durablement forte qui existe encore aujourd’hui pour de telles formations. Toutefois, il n’est pas si évident de définir clairement les caractéristiques de ce groupe cible composé de migrant·e·s ou de personnes issues de l’immigration, et de déterminer leur besoin en matière de formation continue. La demande pour les cours d’allemand, de français ou d’italien tombe sous le sens, car les personnes issues de l’immigration ne connaissent pas toujours la langue parlée localement. Mais lorsque des migrant·e·s acquièrent des compétences de base, obtiennent un diplôme professionnel après avoir suivi une formation de rattrapage ou effectuent une formation continue à des fins professionnelles, il n’est pas si simple de déterminer le rôle joué par le critère de l’immigration dans ces aspects.

Une étude de l’histoire de la formation continue pour les migrant·e·s en Suisse permet d’apporter quelques réponses à ces questions. À partir des années 1960, une offre diversifiée de formations continues destinée aux migrant·e·s est apparue en Suisse sur l’initiative d’organisations italiennes d’immigré·e·s. Cette offre existe encore aujourd’hui. L’Institut pour l’éducation des adultes (ECAP), qui est actuellement la plus grande organisation de formation continue suisse spécialisée dans la migration et l’apprentissage interculturel, a été fondé en 1970 (Eigenmann, 2017).

Cet article se penche sur la création et l’établissement de l’ECAP et d’autres organisations de formation continue engagées dans l’intégration des migrant·e·s dans la région de Zurich entre 1960 et 1980.1 Étant donné que la plupart des travailleur·euse·s migrants venaient d’Italie à cette époque, cet article met en lumière les organisations italiennes, tout en sachant qu’il existait aussi en Suisse des organisations d’immigré·e·s d’autres nationalités, notamment espagnole et grecque, qui étaient également actives dans le domaine de la formation continue. La question principale qui se pose est la suivante: qui était à l’origine de ces offres de formation continue spécialement destinées aux migrant·e·s? Quels étaient les objectifs poursuivis? Quelles étaient les formations proposées et qui y participait? Il convient tout d’abord de présenter le contexte de la migration de l’époque qui a servi de base aux actions des personnes concernées.

Migration pour raisons professionnelles: des perspectives d’avenir et des niveaux de formation hétérogènes

La mise en place d’une offre de formation continue spécialement destinée aux migrant·e·s s’inscrit dans le contexte de la migration pour raisons professionnelles qu’a connu l’Europe centrale après 1945. L’essor permanent de l’économie suisse et le chômage durablement élevé en Italie ont conduit les deux pays à conclure un accord de recrutement en 1948. Celui-ci prévoyait des procédures simplifiées de recrutement de la main-d’œuvre italienne par les entreprises suisses. La durée de séjour des migrant·e·s italiens était toutefois limitée. Conformément au statut de saisonnier et au principe de rotation, les travailleur·euse·s italiens devaient quitter le territoire suisse au plus tard après neuf mois afin de pouvoir retrouver un emploi l’année suivante en Suisse, souvent pour une durée de neuf mois supplémentaires. Ainsi, en 1964, quelque 400 000 Italien·ne·s vivaient en Suisse. L’accord bilatéral entre l’Italie et la Suisse a été révisé la même année. La nouvelle version de cet accord réduisait certes l’immigration en Suisse en instaurant des plafonds, mais elle a aussi diminué les barrières concernant les autorisations de séjour. Un séjour de plus longue durée en Suisse était ainsi devenu envisageable et possible (Mahnig & Piguet, 2003). Les initiatives en matière de formation continue, tant au niveau de l’offre que de la demande, prenaient toujours fortement en compte les perspectives d’avenir des immigré·e·s.

Cependant, les travailleur·euse·s italiens ne venaient pas en Suisse dans l’objectif de se former. Jusqu’en 1980, une offre de formation continue diversifiée s’est développée pour les migrant·e·s en Suisse. Ces dernier·ère·s ne représentaient pas un groupe homogène. Leur niveau de formation était très varié. Les travailleur·euse·s italiens qui cherchaient du travail en Suisse dans les années 1950 venaient principalement d’Italie du Nord. Au cours de cette période, les entreprises suisses recrutaient essentiellement des travailleur·euse·s formés (Ricciardi, 2013, pp. 118-123). Ce n’est qu’après 1960 qu’un nombre croissant de travailleur·euse·s italiens qui émigraient en Suisse venait d’Italie du Sud, une région défavorisée et encore largement non industrialisée. Souvent, ces migrant·e·s n’avaient aucune formation initiale ni aucun diplôme professionnel (Bartolo Janse, 2011). 

De plus, environ un tiers des personnes immigrées étaient des femmes, un fait longtemps oublié dans l’histoire de la migration. Elles trouvaient des emplois dans d’autres secteurs d’activité que les hommes, essentiellement dans l’hôtellerie, dans l’industrie du textile et de l’alimentation. Les projets de vie, les emplois et les possibilités de qualification des femmes différaient de ceux des hommes (Baumann, 2014). Leurs besoins de formation n’étaient donc pas les mêmes.

Enfin, parmi les migrant·e·s qui se rendaient en Suisse pour le travail se trouvaient aussi des personnes qui avaient une conception du monde et des points de vue radicalement différents sur le plan politique, religieux ou culturel. Cette diversité s’est reflétée dans la grande variété des organisations italiennes d’immigré·e·s en Suisse (Meyer-Sabino, 2003), mais aussi du fait que certain·e·s immigré·e·s voyaient leur avenir personnel en retournant dans leur pays d’origine, tandis que d’autres en s’installant en Suisse (Barcella, 2012).

Premières offres de formation continue pour les travailleur·euse·s migrants

Les premières offres de formation sont apparues au début des années 1960. Elles étaient très fragmentées et marquées par un engagement local. Les offres étaient le résultat d’initiatives personnelles d’organisations locales ou le fruit de la collaboration avec des entreprises suisses qui employaient des migrant·e·s italiens et qui souhaitaient développer les qualifications de leurs employé·e·s (Barcella, 2014). Au cours de cette phase initiale, l’offre de formation se limitait aux mathématiques et au dessin technique pour les technicien·ne·s et la main-d’œuvre employée dans le bâtiment. Les formations de plombier offraient des opportunités de carrière intéressantes aux migrant·e·s travaillant dans le bâtiment. Toutefois, les certificats de formation délivrés étaient reconnus uniquement en Italie. Ils n’étaient pas officiellement reconnus en Suisse mais ouvraient tout de même des opportunités professionnelles dans les entreprises suisses (ici et ensuite: Eigenmann, 2017).

L’offre de formation s’est développée, élargie et diversifiée à partir de la fin des années 1960. Les formations, qui au début étaient très axées sur la théorie, ont été enrichies par des sessions d’apprentissage pratique. Les ateliers des usines ou les écoles professionnelles ont été utilisés dans un premier temps, avant que les prestataires de formation continue ne se dotent de leurs propres ateliers dans les années 1970. De plus, les formations se sont élargies à d’autres secteurs professionnels. Jusque dans les années 1970, des formations dans des domaines comme l’industrie lourde mécanique, l’électrotechnique, l’industrie automobile, le textile ou le secrétariat ont complété l’offre de formation dans le secteur du bâtiment, déjà bien établie. L’offre de formation couvrait ainsi les principaux secteurs d’activité des immigré·e·s. Des cours d’allemand ainsi que des cours préparatoires de culture générale pour rattraper le certificat scolaire obligatoire italien de licenzamedia étaient également proposés. Ces cours préparatoires de culture générale étaient directement destinés aux migrant·e·s issus des régions défavorisées comme l’Italie du Sud. Souvent, ces personnes n’avaient pas terminé leur scolarité obligatoire, elles étaient arrivées en Suisse en ne parlant que des rudiments d’italien standard. Sans une formation scolaire complémentaire, elles avaient peu de chances d’obtenir les examens de formation continue professionnelle. Pour les migrant·e·s italiens, ces cours préparatoires à l’examen licenzamedia étaient donc, non seulement un moyen d’obtenir par la suite leur diplôme de scolarité obligatoire italien, mais aussi d’acquérir des connaissances générales leur permettant de décrocher des certificats de formation continue professionnelle.

Auto-initiatives des organisations d’immigré·e·s 

Les organismes de soutien proposant cette offre de formation continue à l’intention des migrant·e·s italiens étaient principalement des organisations italiennes d’immigré·e·s. Pour institutionnaliser cette offre de formation diversifiée, ces associations ont créé des organisations de formation continue spécifiques, les deux principales étant l’ECAP et l’ENAIP, actives en Suisse dans les années 1970. L’organisation ENAIP, sigle qui signifie «Ente Nazionale ACLI Istruzione Professionale», a été fondée par l’Association chrétienne des travailleurs italiens ACLI («Associazione Cristiane dei Lavoratori Italiani»). Cette dernière entretenait des liens étroits avec les missions catholiques italiennes en Suisse et était proche de «Democrazia Cristiana», le parti politique centriste alors au pouvoir en Italie. L’ECAP («Ente Confederale Addestramento Professionale») est issue de l’organisation d’immigré·e·s orientée à gauche sur le plan politique FCLIS («Federazione delle Colonie LibereItaliane in Svizzera») et entretenait des contacts étroits avec le syndicat italien CGIL («Confederazione Generale Italiana del Lavoro»). Celui-ci était lié aux partis communistes et socialistes italiens. 

Ces deux organisations de formation continue, à savoir l’ECAP et l’ENAIP, ont donc été créées dans le sillage d’associations italiennes déjà présentes en Suisse depuis la fin du XIXe siècle (missions catholiques italiennes) ou depuis les années 1940 (ColonieLibere) (Koller, 2014; Ricciardi, 2013). Autre point commun: lors de l’établissement de leur offre de formation continue, ces deux organisations se sont appuyées sur les activités de formation continue des syndicats italiens en Italie. Leurs programmes et documents de formation ont rapidement été importés et appliqués en Suisse. Du fait de leur orientation politique différente, l’ECAP et l’ENAIP se sont tournées vers des syndicats différents. Les programmes de formation étaient certes comparables, mais les ambitions et les intentions divergeaient (ici et ensuite: Eigenmann, 2017). Ces formations étaient supervisées et subventionnées par le Consulat général italien.

En raison de cette intégration dans des réseaux, la mise en place d’offres de formation continue à l’intention des migrant·e·s ne peut être que partiellement perçue comme le résultat d’une initiative personnelle de travailleur·euse·s immigrés. Le fondateur de l’ECAP en Suisse est le symbole d’une telle initiative personnelle. Titulaire d’une formation de dessinateur en bâtiment, Leonardo Zanier est arrivé en Suisse en 1954 en provenance du Frioul et a rejoint l’association ColonieLibere. Grâce à sa formation préalable, il a eu la possibilité de se former à l’École polytechnique fédérale (EPF). Dès le début des années 1960, il a rappelé à maintes reprises la nécessité d’offrir des possibilités de qualification professionnelle aux migrant·e·s italiens. Zanier, qui a également acquis une certaine notoriété en tant que poète en langue frioulane, a mis en place les premières formations continues à des fins professionnelles pour les migrant·e·s italiens à Zurich. Il a lui-même été enseignant et a contribué au développement de l’organisation de formation continue ECAP (Barcella & Furneri, 2020).

Du fait des liens étroits qui existaient entre les prestataires de formation continue pour migrant·e·s et les organisations, autorités et syndicats italiens, l’offre de formation était fortement axée sur les conditions italiennes jusque dans les années 1970 (ici et ensuite: Eigenmann, 2017). Les prestataires de formation continue avaient pour objectif de former les jeunes travailleur·euse·s italiens afin que ces dernier·ère·s, grâce à leur qualification professionnelle, puissent participer à la relance de l’économie italienne après leur retour dans leur pays d’origine. Telle était tout du moins l’intention des autorités italiennes. Depuis la fin des années 1960, l’ECAP et l’ENAIP, en tant que prestataires de formation continue, veillaient à adapter davantage les formations aux conditions en Suisse afin que les qualifications acquises offrent également un accès au marché du travail suisse, mais cet objectif n’a pu être mis en œuvre que partiellement.

Quelques défis organisationnels majeurs, parmi lesquels la recherche de locaux de formation, le recrutement de formateur·trice·s ou l’insécurité financière durable des prestataires de formation, ont pu être atténués. La fondation de l’ECAP devait être perçue comme une ouverture en Suisse vers le système de formation continue destiné aux migrant·e·s. L’ECAP a intensifié ses contacts avec des syndicats suisses et a installé ses premiers bureaux dans les locaux de la Fédération suisse des ouvriers sur métaux et horlogers (FOMH) (devenue ultérieurement le syndicat de l’artisanat, de l’industrie et des services). Grâce à cette collaboration, il était plus facile pour l’ECAP de demander et de décrocher des subventions auprès de l’Office fédéral de l’industrie, des arts et métiers et du travail, ou d’obtenir l’autorisation d’utiliser les locaux d’écoles professionnelles de la ville de Zurich pour ses formations.

Regroupement des formations dans les années 1970

Au cours des années 1970, les formations pour migrant·e·s dispensées par les établissements de formation continue se sont stabilisées, notamment grâce à une hausse des subventions accordées par les autorités suisses. L’ECAP et l’ENAIP ont créé d’autres centres de formation continue en dehors des grandes agglomérations suisses (Zurich et Bâle). Les difficultés liées à l’organisation sont quelque peu passées au second plan et les établissements pouvaient davantage se consacrer au contenu des formations, aux défis didactiques ou aux conditions cadres des qualifications professionnelles, le plus souvent en collaboration avec des représentant·e·s d’autorités et de syndicats suisses et italiens. La demande exprimée à maintes reprises par les organisations italiennes de formation continue concernant la reconnaissance officielle de leurs diplômes de formation par le système de formation suisse n’a jamais abouti. En guise d’alternative, les organisations de formation continue proposaient des cours préparatoires aux examens suisses de fin d’apprentissage. Depuis la réforme de la loi sur la formation professionnelle en 1963, ces derniers étaient également accessibles, sous certaines conditions, sans apprentissage professionnel préalable, ce qui est connu aujourd’hui sous le nom de certification professionnelle pour adultes (voir à ce sujet: Maurer, Wettstein & Neuhaus, 2016).

La récession à la suite du premier choc pétrolier de 1973 a entraîné un tournant dans l’histoire de l’émigration italienne en Suisse. En l’espace de cinq ans, 16 % des travailleur·euse·s migrants ont perdu leur emploi en Suisse et ont dû retourner dans leur pays d’origine (Gees, 2004). Cette situation a intensifié la pression sur les migrant·e·s restés en Suisse pour qu’ils et qu’elles participent à des formations continues professionnelles. Les faibles résultats économiques ont entraîné un regroupement des formations pour les travailleur·euse·s italiens (Eigenmann, 2017). Il faut cependant noter que durant cette période, deux organisations italiennes de formation continue ont tout de même pu s’implanter à Zurich. Mais, malgré une collaboration ponctuelle, elles se faisaient concurrence. Les initiatives visant à regrouper des formations et à tirer profit d’effets de synergie, en particulier pour les formations mobilisant beaucoup de ressources, sont donc souvent restées vaines.

À partir de la seconde moitié des années 1970, les organisations de formation continue ont commencé à cibler davantage leurs formations sur la seconde génération de migrant·e·s venus en Suisse pour le travail. Une première grande cohorte d’enfants de migrant·e·s italiens était alors sur le point d’entamer une formation professionnelle initiale – et cette transition a posé problème pour la seconde génération.2 Les organisations ont recherché différents moyens pour remédier à ce problème. Les aspects didactiques des formations ont par exemple été adaptés aux jeunes ou des formations en préapprentissage ont été créées. Elles devaient faciliter la transition des jeunes vers la formation professionnelle initiale et peuvent être considérées comme les précurseurs des actuelles offres de formation transitoires. 

Intentions des prestataires de formation continue pour les migrant·e·s

Les exigences formulées par les organisations italiennes de formation continue allaient toujours au-delà de la simple transmission de qualifications professionnelles et de la création de perspectives professionnelles. À travers leurs offres, elles voulaient également initier des changements dans la société. Elles n’intervenaient donc pas uniquement dans le domaine de la formation continue à des fins professionnelles, mais aussi dans l’éducation (politique) des adultes. 

L’une de leurs principales exigences était de garantir la compatibilité des formations professionnelles qualifiantes à la fois sur le marché du travail suisse et sur le marché du travail italien. Comme les formations avaient été élaborées d’après les programmes de formation continue des syndicats italiens et qu’elles étaient soutenues par les autorités italiennes qui misaient sur un possible retour des migrant·e·s dans leur pays, cette compatibilité avec le marché du travail italien a été garantie au moins pendant les années 1960. Jusqu’à la fin des années 1970, la situation en Suisse est ensuite progressivement devenue le principal contexte de référence des organisations de formation continue. Établir un lien transnational entre ces contextes de référence et rechercher en permanence une double compatibilité: telles ont été les tâches qui ont caractérisé le travail programmatique de ces organisations.

Certes, en participant aux formations continues, les migrant·e·s aspiraient surtout à progresser sur le plan professionnel (ou, tout du moins, à conserver leur emploi). Cependant, ces formations poursuivaient toujours un objectif de culture générale, que ce soit la formation linguistique ou la culture syndicale. Ce contexte met en évidence la composante politique de ces formations destinées aux migrant·e·s. Elle se manifeste notamment dans le contenu des cours de culture générale ou dans les formes d’organisation participatives. Par exemple, les supports de formation de l’ECAP utilisés pour la préparation au diplôme de licenzamedia contenaient des informations sur le désavantage social dont souffraient les enfants des classes sociales inférieures dans le système scolaire. Ils évoquaient aussi des luttes passées et actuelles en faveur des droits des travailleur·euse·s en Italie ou la revendication des syndicats concernant l’octroi d’un congé général de formation. L’intention était la démocratisation du monde du travail et de la formation continue.

L’objectif consistait à donner aux travailleur·euse·s les bases pour qu’ils et qu’elles puissent réussir sur le marché du travail (Eigenmann, 2017). On constate des parallèles significatifs avec la politique éducative de l’Unesco qui, à l’époque, poursuivait un programme d’éducation similaire pour les pays du tiers-monde (Faure, 1973).

Hétérogénéité des participant·e·s

Pour les personnes qui suivaient des formations continues, l’employabilité et l’ascension sociale étaient les motivations principales pour s’inscrire à des formations de l’ECAP ou de l’ENAIP. Il faut toutefois différencier trois aspects concernant la participation aux formations continues (ici et ensuite: Eigenmann, 2017).

Premièrement, le taux de participation aux formations des migrant·e·s italiens était très variable selon les différents secteurs d’activité. La demande pour les formations dans les secteurs de l’industrie lourde, de la mécanique, de l’électrotechnique et de l’industrie automobile était beaucoup plus forte que dans le secteur du bâtiment. Le nombre de personnes qui participaient à des formations dans le secteur du bâtiment était certes comparable à celui des autres secteurs, mais les métiers du bâtiment employaient beaucoup plus de migrant·e·s que les domaines précédemment cités. Par ailleurs, des formations pour les personnes travaillant dans le secteur de l’hôtellerie étaient certes proposées, mais aucun élément permettant de certifier que ces formations avaient réellement lieu n’a été documenté.

Deuxièmement, la ségrégation fondée sur le genre qui caractérisait le marché du travail pour les migrant·e·s se reflète dans la demande pour des formations. Tandis que les femmes s’inscrivaient presque exclusivement à des formations dans le domaine de l’industrie textile ou du secrétariat, les hommes participaient à des formations dans les secteurs de la métallurgie, de la construction, des installations électriques et de l’industrie automobile. Malgré cette ségrégation très nette, les femmes représentaient environ un cinquième des personnes participant à des formations continues. Souvent, les formations laissaient augurer un emploi en plus des tâches domestiques. Un débat sur les préoccupations féministes s’est amorcé au cours des années 1970 dans les associations d’immigré·e·s et incluait aussi la qualification professionnelle des femmes (Baumann, 2014).

Troisièmement, environ un quart des participant·e·s aux formations avait moins de 20 ans. Certain·e·s jeunes avaient effectué leur scolarité en Suisse, d’autres avaient rejoint la Suisse immédiatement après la fin de leur scolarité en Italie afin de trouver du travail. Pour ces deux catégories, les formations dispensées par les organisations italiennes de formation continue étaient une alternative à la traditionnelle formation professionnelle initiale, car l’accès à un apprentissage professionnel était souvent impossible. Les formations dans l’industrie automobile ou dans le secrétariat offraient des possibilités de qualifications professionnelles. Certes, ces formations n’étaient pas reconnues par le système éducatif suisse, mais elles étaient très appréciées des employeurs. Jusqu’en 1978, lorsque la formation élémentaire (aujourd’hui: IAE) a été introduite dans le cadre de la révision de la Loi fédérale sur la formation professionnelle (Wettstein, 2020), les formations pour migrant·e·s offraient aux jeunes Italien·ne·s des solutions alternatives et leur permettaient d’obtenir au moins certaines qualifications professionnelles. 

Conclusion

Une étude historique retraçant la création des organisations de formation continue pour migrant·e·s dans les années 1960 et 1970 montre l’importance que revêt, pour les personnes concernées, une formation spécialement destinée aux immigré·e·s. Les prestataires italiens de formation continue ont réussi à faire le lien entre les systèmes d’emploi et de qualification de Suisse et d’Italie en adaptant leurs formations aux deux pays. Même si les diplômes n’étaient pas totalement reconnus par les deux pays, les formations offraient aux migrant·e·s d’intéressantes possibilités de qualification qui répondaient à leurs besoins, qui faisaient l’objet d’une demande soutenue et qui étaient appréciées sur le marché du travail. La condition exigée à cet effet était de prendre en compte les situations de vie et les contextes des migrant·e·s comme point de départ pour l’élaboration des formations.

Cette analyse historique souligne également la nécessité d’étudier l’immigration sous différents angles. Les travailleur·euse·s immigrés italiens se rendaient en Suisse pour différentes raisons. Ces personnes appartenaient à différentes classes d’âge et avaient des parcours de vie, des niveaux de formation et des conceptions politiques différentes. Leurs projets de vie et leurs efforts en matière de formation étaient donc également différents. Cette hétérogénéité de la population italienne immigrée se reflétait à la fois dans les différentes organisations de formation continue créées à l’époque ainsi que dans leurs intentions diversifiées. L’ECAP et l’ENAIP ont réagi à cette hétérogénéité en proposant une offre de formation qui allait de la simple qualification professionnelle aux cours de langue, en passant par les cours préparatoires pour rattraper la formation scolaire générale.

Aujourd’hui encore, les prestataires qui proposent des formations spécialement destinées aux migrant·e·s se réfèrent à ces deux aspects. Les mouvements migratoires actuels, comme la fuite des populations d’Ukraine, montrent à nouveau que les perspectives d’avenir des immigré·e·s sont très différentes et incertaines, et que les personnes qui rejoignent la Suisse ont des parcours familiaux, sociaux et professionnels très différents. Pour les prestataires de formation continue, réagir de manière appropriée à ces différents aspects est une tâche complexe, comme le montrent les explications ci-dessus. La réussite de cette mission peut contribuer à ouvrir de multiples perspectives d’avenir aux migrant·e·s.

  1. L’article, en particulier les chapitres 4 à 6, s’appuie sur l’étude publiée en 2017 «Migration et éducation» (Eigenmann, 2017). Nous avons renoncé à préciser les renvois bibliographiques dans ces paragraphes. 
  2. Constatations actuelles différenciées à propos de la transition vers la formation professionnelle initiale, toujours problématique pour la deuxième génération, voir Engelage (2019).

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