23.05.2023
N°1 2023

Formation des adultes et individualisation 

La notion d’individualisation est avant tout caractérisée par ses multiples facettes, et donc aussi par son flou. Dans le contexte de la formation des adultes, elle joue un rôle depuis longtemps, tant sur le plan théorique qu’au niveau pratique, et a connu récemment un essor supplémentaire en lien avec la croissance de numérisation pendant la pandémie de Covid-19. Mais qu’entend-on exactement par là, et comment l’individualisation se manifeste-t-elle dans la formation des adultes? Cet article traite de quelques aspects de ce concept et s’interroge quant à ses possibilités et à ses limites. 

On observe de plus en plus dans la formation des adultes – aussi dans le contexte de la numérisation – des tendances que l’on peut résumer par le terme d’«apprentissage individuel» et qui s’alignent ainsi sur la tendance sociale générale à l’«individualisation». Que ce soit dans la formation des adultes générale ou professionnelle en entreprise – on trouve partout des développements où les offres de cours classiques font place à des formules d’enseignement/apprentissage qui s’appuient sur les besoins de l’adulte individuel et sont organisées de manière flexible au niveau du temps et du lieu, comme du contenu et de la didactique. Je voudrais tout d’abord illustrer cela au moyen d’un exemple concret du domaine de l’alphabétisation/de la formation élémentaire de l’Université populaire de Francfort/Main: 

Dans le projet «1zu1BASICS_plus», on réunit depuis 2021 des adultes «peu alphabétisé·e·s»1 et des parrains ou marraines d’apprentissage bénévoles. Ceux-ci et celles-ci accompagnent et soutiennent leurs efforts de lecture et d’écriture dans des arrangements d’enseignement/apprentissage adaptés sur mesure aux besoins individuels, directs et personnels, variant en termes de temps et de lieu. Ce projet, réalisé dans le cadre de la décennie de l’alphabétisation2, fait partie d’un travail de formation élémentaire orienté vers l’univers de vie, qui s’efforce d’atteindre le groupe cible dans son environnement social et de vie au moyen de nouveaux formats innovants (mesures de promotion individuelle). Ce projet intervient pour deux raisons: d’une part au fait qu’une partie minime seulement (0,7 %) des adultes identifié·e·s comme peu alphabétisé·e·s a recours à des offres (de cours) d’alphabétisation et de formation élémentaire (cf. Grotlüschen et al. 2020, p. 47); et d’autre part au fait qu’il s’agit d’un groupe cible très hétérogène en termes de conditions d’apprentissage, qui exigeait de toute manière depuis toujours déjà une différenciation didactique interne au sein des cours, ce qui posait toutefois aussi des défis particuliers aux formateurs et formatrices (cf. Löffler & Weis 2016). Les parrains et marraines d’apprentissage de l’agence de bénévoles organisée par l’association caritative ouvrière Arbeiterwohlfahrt (AWO) bénéficient d’une formation spécialisée, d’instructions pour leur travail et d’une assistance-conseil collégiale. On met en outre à leur disposition du matériel correspondant avec lequel ils et elles ont la possibilité de travailler pendant les rencontres, qui peuvent par exemple avoir lieu dans des bibliothèques municipales, des espaces d’apprentissage ou des centres familiaux. Cette offre d’apprentissage adaptée sur mesure, fortement individualisée et pourtant interconnectée à de nombreux égards, s’est également donné pour objectif de motiver les personnes peu alphabétisées à réfléchir sur leur situation (biographique) et à suivre éventuellement des offres de développement consécutif (notamment dans le domaine du rattrapage de diplômes de fin d’études scolaires), et donc à participer davantage à la formation des adultes (cf. Dietsche, Lück & Walpuski 2022). Ainsi, ce format d’apprentissage individualisé contribue à promouvoir la participation sociale. 

Bien qu’il s’agisse d’un projet spécifique, illustré ici dans les grandes lignes, il peut servir d’exemple pour de nombreux autres domaines de la formation des adultes et illustrer la tendance à l’individualisation.

Mais que recèle cette notion d’individualisation, qui n’est pas sans ambiguïté et en réalité pas non plus tout à fait nouvelle? S’agit-il simplement d’une flexibilisation et d’une personnalisation accrues des formats d’enseignement/apprentissage dans le sens d’une forme d’orientation vers la clientèle? Ou est-ce davantage que cela? Où se situent les limites de l’individualisation et quelles conclusions peut-on en tirer pour la pratique de la formation des adultes?  

Voici les questions qu’étudie le présent article. Il ne prétend pas cerner complètement le phénomène sous toutes ses facettes – ce qui ne serait guère possible au vu de sa complexité. Il vise plutôt à dégager d’un point de vue andragogique quelques-unes de ses dimensions, et à en exposer l’importance pour la recherche et la pratique de la formation des adultes. La structure de l’article est la suivante: je commence juste après (1) par évoquer brièvement le concept sociologique de l’individualisation, puis (2) pose la question de savoir dans quelle mesure il peut être raccordé à la formation des adultes, et finalement (3) mets cela en lumière sur la base de trois dimensions. L’article se termine (4) brièvement avec quelques perspectives.  

L’individualisation comme expression et conséquence de mutations sociales 

L’exemple pratique évoqué ci-dessus montre une possibilité très concrète d’interpréter l’individualisation dans le cadre de la formation des adultes: comme offre d’apprentissage personnalisée, adaptée sur mesure à l’adulte, à ses ressources et à ses dispositions biographiques, flexible au niveau du temps, du lieu, des conditions sociales et du contenu, qui assiste et encourage l’adulte dans ses efforts individuels de formation continue (professionnelle) et assure une adéquation entre le besoin individuel et les offres d’apprentissage existantes. 

Mais l’individualisation est tout d’abord un concept (sociologique) situé à un niveau plus abstrait. Il désigne de façon tout à fait générale un processus au sein du développement des sociétés modernes, dans lequel l’individu – longtemps perçu comme partie d’un groupe (p. ex. d’un ordre donné) avec des structures, des formes et des attentes fermement établies – vient de plus en plus se placer au centre de l’intérêt comme responsable de sa propre vie, dans ses possibilités de décision et d’agencement biographique, et ainsi dans son autonomie. En termes sociologiques, l’individualisation signifie donc «l’importance croissante de l’individu pour le processus de socialisation» (Junge 2002, p. 9). 

Cette notion est liée à d’autres concepts, que nous ne détaillerons pas ici, au moyen desquels on a décrit (et on décrit encore) des bouleversements et des processus de transformation de la société, tels que la déstandardisation (p. ex. du travail rémunéré), la détraditionnalisation (p. ex. des modes de vie), le décloisonnement (p. ex. des âges de la vie), etc. Elle est également associée à des questions et à des discussions dans les sciences sociales et pédagogiques, concernant par exemple les transitions dans le parcours de vie, l’égalité des chances et l’(in)égalité sociale, ainsi que l’hétérogénéité/la différence (cf. p. ex. Walther et al. 2020). 

Le concept de l’individualisation (également appelé «théorème de l’individualisation») a connu un regain3 d’attention dans les sciences sociales, et donc aussi dans les sciences pédagogiques et l’éducation des adultes (cf. p. ex. Kade 1989). Ce fut notamment le cas à partir du milieu des années 1980 avec les publications des sociologues Antony Giddens, Ulrich Beck et Elisabeth Beck-Gernsheim qui établissaient un diagnostic de l’époque (cf. Beck 1986; Beck & Beck-Gernsheim 1994; Beck, Giddens & Lash 1996). Portant entre autres leur regard sur la pluralisation des modes de vie et des modèles biographiques (tout au moins dans les pays industrialisés (occidentaux)), les auteur·e·s mentionné·e·s soulignent le double caractère de l’individualisation: d’une part, les possibilités et degrés de liberté pour l’individu augmentent dans bien des domaines de la société; d’autre part, cela s’accompagne toutefois d’une certaine pression, voire même d’une contrainte, à gérer ces libertés de manière autonome, à peser les choix possibles, à prendre des décisions de manière réfléchie et éventuellement à les justifier, et à organiser son parcours de vie de façon active et flexible. Les individus sont ainsi confrontés à certaines exigences, assument une responsabilité personnelle élevée par rapport à l’organisation de leur vie dès lors que des certitudes s’effondrent et que des traditions disparaissent. Beck & Beck-Gernsheim (1994, p. 13) parlent à ce propos d’une «biographie de bricolage ou de choix», ou encore d’une «biographie réflexive» (ibid.) pour laquelle il y a une multitude de possibilités parmi lesquelles les individus doivent régulièrement faire un choix actif

Sans qu’il soit possible de retracer ici en détail le développement ultérieur de ces diagnostics sociologiques de l’époque et de ces analyses sociales, on peut retenir que dans le cadre de processus d’évolution et de changements consécutifs à la fin du XXe siècle et au début du XXIe siècle, les possibilités et offres de principe pour se situer en tant qu’individu par rapport au monde et à la société se sont encore multipliées – que ce soit pour mener sa vie d’une façon ou d’une autre, ou pour exploiter certains degrés de liberté et options accordées sur le plan tant individuel que collectif (p. ex. dans le domaine des modes de vie, des loisirs et de la consommation, des médias numériques, du travail et du monde professionnel). En ce sens, l’individualisation dans le contexte des mutations (et crises) sociales reste un sujet d’actualité. Si l’on se demande à présent quel rôle peut jouer ici la formation des adultes, la réponse pourrait être la suivante: la formation des adultes se saisit de l’espace possible actuel en assumant une fonction stimulante, animant et aidant les adultes à tirer profit de leurs possibilités d’apprentissage et de formation, et donc à poursuivre leur développement personnel et professionnel – abstraitement par des concepts d’ordre supérieur tels que celui de l’«apprentissage tout au long de la vie», qui fonctionne à présent comme idée directrice de la société et rencontre un large écho; puis concrètement par un large éventail de thèmes et d’offres de formation (continue), tels qu’on les trouve dans les programmes de diverses institutions de formation continue, et qui permettent aux adultes de se développer dans toutes les directions imaginables, de se qualifier ou de réorienter leur vie dans une nouvelle voie. Dans une fonction d’orientation et d’ordonnancement, la formation des adultes aide également les adultes qui ont perdu leurs repères à s’y retrouver (à nouveau) dans un monde devenu complexe. Un rôle important revient ici à l’assistance-conseil en matière de formation continue, d’apprentissage et de vie, qui met les adultes en mesure de gérer les exigences, contraintes et possibilités de choix croissantes, de développer de nouvelles structures de sens et d’identité, et de trouver les voies qui leur conviennent personnellement. 

Connectivité de la formation des adultes à l’individualisation 

Ce n’est pas seulement avec les diagnostics sociologiques de l’époque que l’on a établi un lien entre la formation des adultes et l’individualisation. Cela n’est donc pas nouveau, comme je voudrais le mettre en lumière à trois niveaux: le niveau historique, le niveau théorique-empirique, le niveau du contenu et de la didactique. 

Un regard historique sur la formation des adultes (organisée) montre que celle-ci, depuis ses débuts que l’on situe en règle générale au début du siècle des Lumières, s’est non seulement différenciée sur le plan institutionnel, mais a également modifié au fil du temps sa vision et sa conception des personnes auxquelles elle s’adresse. Selon Seitter (2007, pp. 135 ss), les termes éducation populaire, éducation des adultes, formation continue et apprentissage tout au long de la vie mettent en évidence une évolution qui place de plus en plus l’adulte en tant qu’individu et dans son individualité au centre de l’intérêt. Ainsi, le terme d’éducation populaire utilisé depuis le XVIIIe siècle jusqu’aux années 1920 environ implique une conception de l’adulte comme partie d’un collectif (le peuple), s’inscrivant encore fortement dans les conditions traditionnelles de vie et de travail. L’apprentissage et la formation continue étaient axés assez étroitement sur le domaine du «microcosme local» (ibid., p. 136), dans lequel l’individualité ne jouait encore aucun rôle, les adultes y occupant leur place attitrée dans une société fondée dans une large mesure sur des processus fixes. Les parcours de vie étaient souvent tracés à l’avance, et par conséquent, ce que l’on apprenait était également limité à un petit segment de l’univers de vie direct, et l’apprentissage se faisait essentiellement sous forme d’instruction. Vers le début du XXe siècle, le terme d’éducation des adultes a peu à peu commencé à s’imposer. Les adultes étaient désormais davantage considérés comme des individus indépendants et destinataires de l’éducation, précisément aussi en les démarquant sciemment des élèves qui avaient encore besoin d’être élevés et instruits. «L’éducation des adultes s’entendait donc comme un élément pour cultiver un Soi qui avait déjà trouvé sa place au sein d’un cercle de vie ou d’une couche sociale, mais qui devait ainsi être amené à occuper cette place de manière plus réfléchie et plus cultivée et à reconnaître la relativité de sa propre position dans le dialogue avec d’autres adultes» (ibid., p. 138). C’est sur cette idée que s’alignaient les offres et les arrangements didactiques, passant d’une simple transmission et diffusion du savoir sous forme d’instruction à des formes holistiques, individualisantes et axées sur le destinataire, visant à stimuler la réflexion et la communication. Dans les années 1970, en lien avec le «plan structurel pour l’instruction publique» (Deutscher Bildungsrat 1972), le terme d’éducation des adultes a été remplacé par celui de formation continue, par lequel on entendait la «poursuite ou reprise de l’apprentissage organisé après l’accomplissement d’une première phase de formation plus ou moins étendue» (ibid., p. 197). La formation continue devait désormais devenir une tâche permanente et autoresponsable de tout individu d’une société, et contribuer au progrès tant professionnel que personnel. On assista par conséquent à une croissance de l’institutionnalisation dans l’éducation des adultes, financée par des fonds publics ou privés. On vit également augmenter l’importance et la perception de processus d’apprentissage et de formation informels, donc non planifiés et plutôt aléatoires. C’est également à cette époque de la réforme de l’instruction publique dans les années 1960 et 1970 que commence l’essor du concept de l’apprentissage tout au long de la vie, renforçant encore l’exigence d’apprendre et de (continuer à) se former en permanence. Avec l’apprentissage tout au long de la vie, l’intérêt porte sur la biographie de l’adulte individuel, qui devient le point de référence pour les processus d’apprentissage et de formation, quels que soient la forme qu’ils prennent et le lieu où ils se déroulent. 

Si l’on résume ces évolutions, on peut retenir qu’au fil du temps, l’adulte est perçu de plus en plus comme sujet indépendant et porteur d’une biographie individuelle, qui est sans cesse confronté à de nouvelles décisions et doit les prendre activement. Cela modifie également le regard sur la formation des adultes, l’adulte et l’apprentissage des adultes, tant sur le plan théorique-empirique que sur le plan du contenu et de la didactique, comme nous l’exposons un peu plus en détail ci-après. 

Sur le plan théorique-empirique, la tendance à l’individualisation se reflète dans des théories qui considèrent l’adulte comme sujet de ses conditions de vie (cf. Nolda 2008, p. 34 ss). Parmi celles-ci comptent par exemple des théories et approches systémiques-constructivistes, de la science du sujet ou de la théorie du milieu, qui mettent l’accent sur l’autonomie, l’auto-organisation, la subjectivité et l’autopilotage en ce qui concerne l’apprentissage, les raisons d’apprendre et la motivation à apprendre, et qui expliquent ainsi également les résistances à l’apprentissage. Le discours sur l’apprentissage autopiloté et auto-organisé, largement présent dans la formation des adultes, en fait également partie. Elles se démarquent au contraire fondamentalement des théories classiques basées sur des schémas stimulus-réponse et des conceptions supposant la possibilité d’un pilotage externe des processus d’apprentissage et de formation. L’orientation plus poussée vers le sujet s’accompagne sur le plan empirique d’une utilisation accrue, et donc d’une valorisation, des démarches de recherche qualitatives. Ainsi, les démarches biographiques et ethnographiques ont gagné en importance. Dans l’ensemble, ce sont depuis lors les adultes avec leur savoir issu de l’expérience, leurs options individuelles de formation et d’appropriation, leurs multiples intérêts et ressources qui se placent au centre de l’attention (cf. à ce propos Nittel, von Felden & Mendel 2023). 

Sur le plan du contenu et de la didactique – ce qui est donc particulièrement intéressant pour la pratique de la formation des adultes – la tendance à l’individualisation ne se manifeste pas seulement dans l’ouverture au niveau des thèmes, des offres et des formats d’enseignement/apprentissage et de conseil, mais aussi dans les principes didactiques centraux qui déterminent la formation des adultes, en particulier l’orientation vers les participants et participantes, la biographie et l’univers de vie (cf. à ce propos von Hippel, Kulmus & Stimm 2022). L’orientation – non moins importante – vers les destinataires et les groupes cibles considère plutôt l’adulte comme faisant partie d’un groupe plus ou moins homogène avec des caractéristiques sociostructurelles communes («situation de vie collective» (Siebert 2012, p. 111) comme point de départ) dont les besoins et désirs concrets doivent généralement être anticipés par les institutions de formation, et se situe plutôt au niveau de la planification des programmes. L’orientation vers les participant·e·s, la biographie et l’univers de vie vise plutôt le niveau microdidactique dans la planification et la conception concrètes de la situation de cours ou de l’arrangement d’enseignement/apprentissage, et porte le regard sur les adultes individuels qui y participent avec leurs intérêts, leurs attentes, leurs situations de vie, leurs ressources biographiques ou autres, et leurs horizons d’interprétation spécifiques. Von Hippel, Kulmus & Stimm (2022, p. 91) signalent à cet égard que la mise en œuvre de l’orientation vers les participant·e·s ne consiste pas simplement à répondre à leurs souhaits et besoins, mais aussi à prendre systématiquement en compte leurs perspectives. Il s’agit d’intégrer conceptuellement les préoccupations des individus qui participent à des cours de formation des adultes, sur la base d’une motivation donnée et en lien avec certaines attentes, dans la planification des contenus et des objectifs de la manifestation de formation par les professionnel·le·s. «Une orientation réussie vers les participant·e·s et un apprentissage réussi dépendent donc de l’apport personnel des sujets» (ibid.). À cela s’associent d’un autre côté le «caractère individuel» et la «forte tête» (Kade, Nittel & Seitter 2007, p. 85) des adultes, qui peuvent se manifester de différentes manières dans l’interaction au sein du cours, par exemple sous la forme de comportement perturbateur ou récalcitrant, ou tout simplement par le fait que les contenus du cours peuvent avoir des significations très différentes selon les adultes, sans que les responsables des cours ou les formateurs·trices professionnel·le·s d’adultes ne puissent orienter et piloter cela dans le sens d’une intention de transmission pédagogique. Les responsables des cours deviennent ainsi des accompagnateurs·trices de l’apprentissage, devant ouvrir aux participant·e·s des espaces d’opportunités et savoir gérer le caractère ouvert et incertain des processus d’apprentissage et de formation dans le travail concret de formation. 

Par orientation vers la biographie, on entend l’intégration explicite et la prise en compte des expériences de vie et d’apprentissage accumulées au fil du parcours biographique et constitutrices de l’identité de chaque participant·e, qui influencent aussi  l’enseignement/apprentissage. Ce qui s’accorde fort bien à la réalité de la formation des adultes, puisque les responsables de cours sont souvent confronté·e·s à des propos biographiques de leurs participant·e·s au sein du cours, sans que la façon de les gérer soit nécessairement claire. Le principe didactique de l’orientation vers la biographie offre explicitement la possibilité d’intégrer cela, à divers degrés d’intensité et d’ampleur, dans l’arrangement d’enseignement/apprentissage – selon les exigences du thème abordé. On dispose entre-temps de nombreux guides et impulsions méthodologiques pour l’agencement du travail avec (ou encore sur) les biographies et son intégration judicieuses dans des manifestations de formation d’adultes (p. ex. Auer et al., 2020; Hölzle & Jansen 2011). 

Un autre principe important qui s’y rattache est celui de l’orientation vers l’univers de vie, issu à l’origine du travail social (cf. Grundwald & Thiersch 2014) et repris par la formation des adultes; on entend ici par univers de vie le «cosmos individuel des évidences dans lequel nous vivons» (Arnold 2010, p. 185), et qui signifie «pour l’individu la certitude, l’identité et l’appartenance» (ibid.). En tant que principe didactique, l’orientation vers l’univers de vie se saisit de cet important espace d’expérience pour en faire le point de départ des processus d’apprentissage et de formation. Pour s’adresser notamment à de nouveaux groupes cibles ou gagner de nouveaux participant·e·s, l’orientation vers l’univers de vie est importante, surtout si la formation des adultes utilise ce principe pour établir des offres dans l’environnement social immédiat – dans le sens d’un travail éducatif de proximité (cf. Bremer & Kleemann-Göhring 2011). 

L’individualisation comme risque et comme chance 

L’institut de futurologie Zukunftsinstitut considère l’individualisation comme une «mégatendance» sociale et le «principe culturel central de l’époque actuelle».4 Avec la poursuite du changement social et technologique, les processus d’individualisation vont continuer dans de nombreux domaines de la société. Les libertés de choix et les possibilités d’autodétermination continuent à augmenter et contribuent en principe à accroître les chances de participation de tous les membres de la société. Mais en même temps, on constate aussi des phénomènes divergents à bien des niveaux, notamment face aux grands défis sociaux que l’on ne pourra relever qu’ensemble, tels que le changement climatique, l’éducation à la démocratie ou des crises en tous genres. Il faut donc se demander dans quelle mesure l’individualisation se fera à long terme au détriment de la communauté, conduisant à la singularisation et par conséquent à une perte de solidarité et à l’augmentation des inégalités, ou dans quelle mesure elle représente aussi une chance pour l’émergence d’alternatives, par exemple par le développement de formes innovantes de communautarisation, la genèse de nouveaux mouvements sociaux ou – comme le formule le Zukunftsinstitut – l’apparition d’un «Moi qui se développe de manière co-individuelle dans le Nous». Pour la formation des adultes, ces questions n’ont pas simplement un intérêt scientifique, puisqu’elles peuvent constituer le point de départ pour des considérations théoriques et une recherche empirique, mais elles ont aussi et surtout une importance pratique, dans la mesure où la formation des adultes assume comme toujours ici une fonction de sensibilisation, de médiation et de compensation.

  1. On entend par là des adultes dont les compétences en langage écrit sont inférieures à un niveau minimal donné, et qui sont considéré·e·s comme «analphabètes fonctionnels». L’étude LEO a identifié pour l’Allemagne un nombre de 6,2 millions d’adultes de langue allemande entre 18 et 64 ans concerné·e·s (cf. Grotlüschen & Buddeberg 2020). Depuis le début des années 1980, ces personnes ont la possibilité d’apprendre à lire et à écrire dans des cours d’alphabétisation et de formation élémentaire d’universités populaires et d’autres institutions de formation. 
  2. La «décennie nationale de l’alphabétisation et de la formation élémentaire» (décennie Alpha) lancée en Allemagne en 2016 est une association du gouvernement fédéral, des länder et d’autres partenaires de la société, qui s’est fixé pour objectif de réduire sensiblement l’analphabétisme et d’élever le niveau de formation élémentaire jusqu’en 2026 (https://www.alphadekade.de/alphadekade/de/home/home_node.html [consulté pour la dernière fois le 11.2.2023].
  3. «Regain» dans la mesure où – selon Junge (2002, pp. 9 ss) – de nombreux «classiques» de la sociologie, tels que Durkheim, Simmel ou Weber, se sont déjà penchés sur l’individualisation, la modernisation et l’autonomisation de l’individu qui y est associée (cf. également à ce propos Kippele 1998). 
  4. Le Zukunftsinstitut fondé en 1989 par Matthias Horx est un think tank qui fait de la recherche sur les perspectives d’avenir et les tendances. https://www.zukunftsinstitut.de/dossier/megatrend-individualisierung/ [consulté pour la dernière fois le 15.2.2023].

Références 

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