28.11.2023
N°2 2023

La collaboration permet la sécurité

Ces dernières années, les coopérations semblent avoir gagné en importance dans le domaine de la formation continue. Un regard sur l’univers de la formation commerciale permet d’expliquer en partie les raisons de cette tendance et de présenter des exemples d’action partenariale à différents niveaux. La collaboration approfondie des prestataires de formation, selon les affirmations des personnes interrogées, est également essentielle pour générer des innovations.

On sait que la pandémie de Covid-19 a donné à la formation continue une puissante impulsion dans le domaine de la numérisation. Dans un univers de formation numérisé, les tâches des formateurs et formatrices se modifient, et les offres hybrides ont un impact sur l’utilisation de l’infrastructure construite, pour ne citer que deux exemples. Mais le passage des cours analogiques à des cours hybrides, voire même purement virtuels, n’est pas la seule tendance qui se manifeste dans la branche. La numérisation est également associée à une individualisation plus poussée des offres de cours et à un décloisonnement spatial (nous nous sommes penchés sur ce sujet dans EP 1/2023).

Le décloisonnement spatial a pour conséquence que l’infrastructure construite et les avantages du lieu physique perdent en importance. En raison de la numérisation, des organisations jusqu’alors dominantes à l’échelle locale se voient désormais confrontées à des concurrents qui peuvent être implantés n’importe où dans le monde; par ailleurs, la demande accrue d’offres en ligne entraîne également une forte diminution des taux d’occupation des locaux. Et plus les offres de cours sont individualisées, plus il devient difficile d’atteindre un nombre suffisant de personnes participantes pour couvrir les frais d’un cours. Dans ce contexte, les coopérations suscitent nouvellement un intérêt accru.

Lorsque le Conseil fédéral prononça de facto une interdiction de l’enseignement présentiel le 13 mars 2020, cela a également été une date charnière concernant les coopérations, affirme Urs Achermann. Pour le CEO de l’école de commerce KV Business School à Zurich, il y a clairement une période avant et une période après le Covid-19. Avant la pandémie, on se regroupait si chaque partenaire y trouvait un avantage évident. Si cet avantage disparaissait, la coopération prenait fin. Il n’y avait au fond pas de raison de coopérer de façon approfondie et durable. Les différentes institutions de formation se débrouillaient fort bien toutes seules.

Des collaborations plutôt que des coopérations

Aujourd’hui, c’est différent, déclare Achermann. Il ne constate pas seulement un intérêt nettement plus élevé pour des coopérations au sein de la formation commerciale, la façon de travailler ensemble a également changé. Dans les coopérations telles qu’on les pratiquait jusqu’alors, chaque partenaire mettait à disposition et partageait des éléments de son domaine spécifique. Aujourd’hui, les prestataires de formation continue collaborent de façon approfondie et développent conjointement quelque chose de nouveau, qui va au-delà ou diffère des offres disponibles au sein des institutions. Achermann préfère donc parler de collaboration plutôt que de coopération.

Dans le domaine commercial, de telles collaborations ont par exemple lieu dans le cadre du groupe KV-Bildungsgruppe, une association fondée en 2009 par les cinq plus grandes institutions de formation commerciale. Aujourd’hui, le groupe comprend onze écoles. Mais ce groupe a aussi  changé au cours des trois dernières années, déclare Thomas Kölliker, responsable de la formation continue à l’école WKS KV Bildung à Berne. Si auparavant on se souciait surtout de son propre petit royaume, on coopère désormais plus étroitement en tant que groupe.

Comme exemple d’une telle collaboration, Kölliker cite la nouvelle formation continue «Digital Collaboration Specialist avec brevet fédéral» proposée conjointement par cinq écoles du groupe. Cette formation continue est réalisée sous forme de Blended Learning. Les personnes participantes se rendent aux différents sites pour diverses manifestations. Chaque site a quelque chose de particulier, et donc une plus-value à proposer. L’un de ces sites se trouve à la Sihlpost à Zurich, le siège de la KV Business School. Urs Achermann souligne: «Si chaque école proposait séparément cette formation continue, aucune d’elles ne pourrait remplir une classe.» Du fait de la collaboration des écoles, le cours devient financièrement viable.

La collaboration constitue sans aucun doute un moyen de maîtriser les coûts. Mais la rentabilité à elle seule ne saurait être la base d’une collaboration, souligne Thomas Kölliker. Les collaborations ne réussissent que si l’on partage les mêmes valeurs, juge-t-il. Et bien entendu, il faut pouvoir se faire confiance mutuellement. Un maximum de transparence est donc indispensable.

Apprendre la collaboration

Ce n’est pas facile dans un monde tenu aux principes fédéraux, admet Urs Achermann. En d’autres termes: un système avec des institutions enracinées au niveau régional et agissant de manière autonome ne peut pas être transformé du jour au lendemain en un réseau d’écoles qui collaborent. Pour lui, les différents prestataires de formation se livrent ainsi à une discipline relativement nouvelle. Selon lui, il y a là encore beaucoup à apprendre. De nos jours, cet apprentissage n’a toutefois pas seulement lieu au niveau de la collaboration des prestataires, mais également directement au sein des entreprises; en effet, la culture de la collaboration se manifeste également à travers les nouvelles structures dont se dotent les institutions pour relever les défis actuels. À la KV Business School, il y a de plus en plus d’équipes interfonctionnelles qui travaillent ensemble, cherchant et traitant conjointement des thèmes de façon autonome. La notion clé: une forme d’organisation agile. Celle-ci débouche également sur de nouvelles relations avec la clientèle, qui présentent à leur tour un caractère plutôt collaboratif.

De nos jours, pratiquement tout le monde a un avis sur la manière dont la formation doit se faire, déclare Urs Achermann. On pourrait dire que la formation ne peut plus tout simplement être coulée dans des moules rigides. Elle fait de plus en plus l’objet de négociations entre les clientes et clients d’un côté, et entre les prestataires de l’autre. Certes, les possibilités ne sont pas sans limites. Mais la marge de manœuvre élargie exige des prestataires de formation qu’ils se penchent davantage sur les besoins des individus et développent leurs prestations de conseil. «Si on n’avait jadis recours au Case Management que dans des cas d’exception, c’est aujourd’hui devenu la norme», déclare le CEO de la KV Business School. Par conséquent, les chargées et chargés de dossier sont devenus des gestionnaires de la formation qui examinent et traitent chaque cas individuellement. Comme les clientes et les clients accordent davantage de poids à leurs propres besoins d’apprentissage, cela bouleverse effectivement les concepts éducatifs traditionnels.

Mais les rapports modifiés avec la clientèle ne sont pas nécessairement une voie à sens unique. Si l’on conçoit les clientes et les clients comme des partenaires de collaboration, cela profite également aux entreprises de formation. Les clientes et les clients pourraient par exemple aider à développer des unités d’auto-apprentissage, si on les interroge sur leurs expériences et renvoie leurs réponses aux professionnelles et professionnels de la formation, suggère Thomas Kölliker. Le développement de nouvelles offres et formes d’offres deviendra sans doute de plus en plus un travail partagé, entre prestataires et personnes apprenantes.

Nouvelles certifications

Le développement de filières de formation en tant que telles est également une tâche à effectuer en partenariat avec différentes écoles. Dans le domaine de la formation commerciale, on s’y emploie actuellement en adaptant le plan cadre d’études de l’école professionnelle supérieure dans le domaine de l’économie, qui ouvre une nouvelle voie à l’acquisition du bachelor. En conséquence, des discussions sont en cours, d’une part avec des prestataires de formation initiale, d’autre part avec les hautes écoles spécialisées, afin d’assurer le lien et la cohérence. Si le «Professional Bachelor» devient un jour réalité – et les chances pour cela sont bonnes – il faudra également coopérer étroitement avec les écoles qui mènent à ce diplôme.

C’est pourquoi Urs Achermann est convaincu que l’on ne peut plus aujourd’hui fournir seul les prestations requises, si l’on ne veut pas se confiner dans une niche en tant qu’école spéciale – au risque de disparaître. Par exemple, pour un prestataire qui se sent en sécurité parce qu’il propose des cours de préparation aux examens de fin d’études, l’importance croissante des microcertifications pourrait signifier un réveil brutal. C’est pourquoi il y a également des collaborations avec des partenaires extérieurs au secteur de la formation, débouchant ici encore sur de nouvelles offres ou un décalage des champs d’activité. Ainsi, la KV Business School a mis sur pied un «Smart Camp» conjointement avec Securitas: la personne qui accomplit la formation peut être directement employée par l’entreprise de sécurité. Par ailleurs, la Business School à Zurich a obtenu une licence d’agent de recrutement afin de pouvoir à l’avenir placer des spécialistes de la gestion du changement dans des entreprises.

Selon Thomas Kölliker de la WKS KV Bildung à Berne, le monde est devenu plus complexe et plus dynamique. «Et l’on ne peut pas répondre à la complexité par la simplicité», déclare-t-il. À l’inverse, la collaboration est aussi synonyme de sécurité, justement parce qu’il ne faut plus tout faire seul. Réfléchir à la manière dont on peut devenir une partie d’un tout en tant que prestataire de formation continue constitue donc déjà en quelque sorte une stratégie de survie.