24.05.2022
N°1 2022

L’analyse de l’apprentissage comme discipline transversale dans la pratique

Aujourd’hui, dans les entreprises, l’analyse de l’apprentissage peut être considérée comme une «discipline transversale» associant science des données, statistiques, communication narrative, apprentissage et développement. Avec la transformation numérique du secteur de la formation et la transition vers l’apprentissage en ligne avec des formats multimédias, les algorithmes et la protection des données ont une importance croissante dans la formation en entreprise basée sur des données. Un défi permanent consiste à maintenir un équilibre entre les désirs d’apprentissage individuels et les besoins de l’entreprise. Cet article présente un exemple issu de la pratique chez Swisscom.

À la différence des écoles et des hautes écoles, les conditions que doivent remplir les participant·e·s en ce qui concerne l’âge, les connaissances préalables, l’expérience et les centres d’intérêts sont un peu plus hétérogènes dans la formation initiale et continue en entreprise («Corporate Learning & Development»). Les désirs d’apprentissage tout au long de la durée d’emploi des collaborateurs·trices – depuis les apprentis en formation professionnelle jusqu’aux personnes proches de la retraite – sont donc plus diversifiés. Les objectifs de l’entreprise et des secteurs d’activité sont tout autant diversifiés. Les besoins qui en découlent peuvent évoluer rapidement.

Des désirs d’apprentissage variés – des besoins qui évoluent rapidement

Chez Swisscom, l’apprentissage et le développement tout au long de la vie sont un investissement pour l’avenir, donc pour la compétitivité de l’entreprise et l’employabilité des collaborateurs·trices. Le développement professionnel chez Swisscom repose sur la capacité à combiner la volonté d’apprendre et les ambitions des collaborateurs·trices avec les objectifs de l’entreprise et les exigences stratégiques spécifiques à chaque secteur d’activité. Concrètement, cela signifie que dans l’apprentissage en entreprise, l’orientation sur le résultat occupe une importance centrale: les métiers, fonctions et rôles sont notamment différenciés par des ensembles de compétences. Si, en raison des évolutions technologiques, les exigences et les tâches changent dans des profils de métier, les ensembles de compétences nécessaires peuvent changer eux aussi. Dans ce contexte, également influencé par l’évolution démographique, les entreprises doivent mettre en œuvre des mesures permettant à leur personnel de développer ses compétences existantes («upskilling») ou d’en acquérir de nouvelles («reskilling»). De plus, du fait de la dynamique du marché dans les secteurs des télécommunications, de l’informatique et du divertissement, les connaissances relatives aux produits doivent être mises à jour de plus en plus fréquemment. Dans les grandes entreprises, ces adaptations sont discutées de manière décentralisée dans le cadre de dialogues de développement réguliers avec les collaborateurs·trices et sont harmonisées avec leurs désirs d’apprentissage individuels, leurs contributions aux performances et leurs objectifs professionnels. Sans l’infrastructure correspondante (plates-formes d’apprentissage) et sans le recours à l’analyse de l’apprentissage, ces changements qui affectent les thèmes, les aptitudes et les besoins ne pourront pas être présentés de manière transparente, regroupés et judicieusement intégrés dans la planification.   

Swisscom utilise comme base la définition ci-après: Learning Analytics utilise des données statiques et dynamiques, recueillies dans des environnements de travail et d’apprentissage. Ces données concernent les activités (et le contexte) des collaborateurs·trices. L’efficacité de ces données sur les objectifs de l’entreprise est constamment vérifiée pour que les connaissances obtenues puissent permettre une amélioration factuelle des processus d’apprentissage et de développement et des environnements correspondants. (sur la base de SOLAR)

Les différentes parties prenantes dans les secteurs d’activité de l’entreprise ont des attentes et des besoins différents qui, parfois, se font mutuellement concurrence. Par exemple, un collaborateur ou une collaboratrice en apprentissage souhaite savoir quelles sont les aptitudes exigées aujourd’hui et demain et recevoir des recommandations d’apprentissage personnalisées pour son développement professionnel individuel. Les donneurs d’ordre veulent que leurs initiatives commerciales – par exemple des lancements de produit ou des programmes de leadership – soient rapidement intégrées par tous les collaborateurs·trices. Les concepteurs d’offres d’apprentissage et les formateurs sont quant à eux surtout intéressés par le feed-back à propos de leurs offres de formation. Et au niveau de l’entreprise, il s’agit d’effectuer des comparaisons en termes d’investissements, d’engagements et de contributions aux performances et de surveiller les aspects en lien avec la conformité et la sécurité.

Défis et expériences

La transformation numérique imprègne le marché de la formation de manière aussi forte que d’autres secteurs: des évolutions comme le «big data» et les analyses, l’intelligence artificielle et les nouveaux prestataires de contenu comme LinkedIn Learning, edX ou Coursera entraînent des changements substantiels – tant sur les plans individuel, organisationnel que social – dans la manière dont nous travaillons et apprenons. La question centrale est de savoir quelles sont les aptitudes et les compétences à développer à cet effet et comment elles doivent être développées (voir les sources ci-dessous). Cela entraîne les défis suivants pour l’analyse de l’apprentissage: 

  • l’immense quantité de données provenant de différentes sources et devant être traitées;
  • l’immense quantité de données provenant de différentes sources et devant être traitées;
  • la vitesse avec laquelle les données circulent et sont traitées;
  • l’exactitude des données (biais, valeurs aberrantes, caractère actuel des données) pour les analyses.

Cela exige non seulement la mise en place de ressources supplémentaires, mais aussi l’acquisition de nouvelles aptitudes et compétences par les collaborateurs·trices du secteur de la formation en entreprise (Corporate Learning & Development). Il est difficile de confier l’analyse de l’apprentissage à une équipe de spécialistes dédiés. Comme il s’agit d’une «discipline transversale», elle concerne de plus en plus tous les postes relevant de la formation en entreprise. Chez Swisscom, les bases à cet effet ont été établies avec «Learning Analytics@Swisscom», un programme de formation interne, librement accessible à toutes et tous. Ces bases sont développées en permanence sur le plan thématique. 

Évaluation des programmes d’apprentissage

Dans la pratique, les efforts sont encore principalement ciblés sur l’évaluation et les contrôles qualité des programmes d’apprentissage et initiatives de formation après la réalisation et la présentation descriptive des effets dans des tableaux de bord conçus selon le principe suivant: «Qu’est-ce qui a été appris par qui et de quelle manière?» Un rapport annuel «Learning Report» destiné aux parties prenantes chez Swisscom présente, pour chaque secteur d’activité, les investissements, les activités et les résultats au moyen d’indicateurs centraux. Ainsi, des interrelations et des tendances sur une période chronologique peuvent être identifiées et exploitées sur la base des orientations convenues en matière de développement, de temps de formation par collaborateur·trice et selon les thèmes et formats les plus fréquents.

Analyses diagnostiques

Dans la pratique, les efforts sont encore principalement ciblés sur l’évaluation et les contrôles qualité des programmes d’apprentissage et initiatives de formation après la réalisation et la présentation descriptive des effets dans des tableaux de bord conçus selon le principe suivant: «Qu’est-ce qui a été appris par qui et de quelle manière?» Un rapport annuel «Learning Report» destiné aux parties prenantes chez Swisscom présente, pour chaque secteur d’activité, les investissements, les activités et les résultats au moyen d’indicateurs centraux. Ainsi, des interrelations et des tendances sur une période chronologique peuvent être identifiées et exploitées sur la base des orientations convenues en matière de développement, de temps de formation par collaborateur·trice et selon les thèmes et formats les plus fréquents.

Les premières analyses diagnostiques montrent les effets des activités d’apprentissage dans des thématiques ciblées comme les langues, la formation initiale en leadership, le dialogue avec la clientèle et les ventes, ainsi que les performances. Concernant les compétences linguistiques, des effets ont pu être constatés sur l’amélioration de la communication dans le travail quotidien, sur l’élargissement du domaine de compétences et sur l’employabilité. Pour la formation initiale en leadership, les effets se sont traduits par de nouvelles conceptions et manières de penser, l’amélioration de la satisfaction au travail et la hausse de la productivité des collaborateurs·trices, résultats récompensés début 2022 par la remise du prix Learning Award, catégorie «bronze», par le LPI (Learning and Performance Institut). Dans le domaine «Dialogue avec la clientèle et vente», un lien statistique a pu être mis en évidence entre, d’une part, des groupes de collaborateurs·trices travaillant dans des boutiques Swisscom et effectuant différentes activités d’apprentissage et, d’autre part, la satisfaction de la clientèle et l’aptitude à résoudre des problèmes (cf. fig. 1).

Concernant les analyses diagnostiques, les connaissances courantes issues de la recherche se confirment. L’interprétation des résultats en collaboration avec des représentant·e·s des secteurs d’activité et des services HR a toutefois une importance clé. En effet, les contextes organisationnels et les contextes de travail spécifiques dans lesquels l’apprentissage a lieu peuvent être sensiblement différents: dans des environnements agiles caractérisés par une grande marge d’auto-organisation au sein des équipes (par exemple dans le développement logiciel), les espaces libres pour l’apprentissage commun et l’amélioration continue ne sont pas les mêmes que dans les secteurs planifiés impliquant un contact direct avec les client·e·s (comme dans les boutiques ou à la hotline). En plus de la mise à disposition adaptée des offres d’apprentissage et de développement, la conception des conditions cadres pour l’apprentissage figure aussi à l’ordre du jour. Ainsi, dans la convention collective de travail, tous les collaborateurs·trices bénéficient d’au moins 5 jours de formation par an qu’ils peuvent utiliser à titre personnel pour leur développement professionnel.

Analyses prédictives et prescriptives

Pour les études et analyses prédictives («qu’est-ce qui sera appris?») et prescriptives («comment pouvons-nous influencer l’apprentissage?»), il est nécessaire de disposer d’une infrastructure qui regroupe, en temps réel et de la manière la plus automatisée possible, les flux de données se rapportant aux activités de formation dans l’entreprise. Un projet pilote est en cours de réalisation pour déterminer comment un tel «Learning Record Store» peut être mis en place afin de pouvoir, à partir de cette base, effectuer d’autres analyses avec différents modèles de données et des tests A/B (comparaison de différents formats de formation avec les mêmes objectifs d’apprentissage dans un groupe pilote et un groupe de contrôle). L’un des objectifs est de rendre transparent et de mieux planifier le laps de temps entre le début d’un apprentissage et l’acquisition des compétences nécessaires à un nouveau rôle ou à une nouvelle tâche («time to competency»). L’un des défis à relever est de convaincre les parties prenantes internes de saisir et d’analyser dès aujourd’hui les flux de données alors que la finalité précise et l’utilité du traitement des données ne seront connues que plus tard. Comme c’est généralement le cas dans la collaboration agile, une procédure itérative est appropriée; celle-ci comprend l’exploration d’approches de solution modulaires, la description de cas d’utilisation concrets et la présentation des résultats. De nouvelles normes techniques comme xAPI1 pour l’interopérabilité des systèmes soutiennent la mise en place d’une infrastructure correspondante.

Éléments de la formation initiale et continue en entreprise basée sur les données

Le schéma suivant offre un aperçu des éléments qui composent la formation initiale et continue en entreprise (Corporate Learning & Development) basée sur les données, avec l’analyse de l’apprentissage au premier plan. Tout au long de la chaîne de valeur (première rangée), depuis la clarification des besoins et du mandat jusqu’à la mise à disposition et le transfert, en passant par l’évaluation, il existe différentes problématiques dans lesquelles le traitement des données et les enseignements qui en résultent peuvent être utilisés. La gouvernance des données et l’utilisation des données personnelles revêtent une grande importance, en particulier dans la perspective de l’introduction prochaine de la nouvelle loi sur la protection des données2 en Suisse. Celle-ci conférera de nouveaux droits aux collaborateurs·trices (droit des personnes concernées). À ce sujet, Swisscom a élaboré pour toutes les applications HR une information commune sur la protection des données (cf. fig. 2).

Il faut, pour tous les éléments, présenter en continu et de manière claire des indicateurs clés de performance (ICP) et les enseignements des analyses aux différentes parties prenantes de l’organisation pour qu’elles puissent prendre de meilleures décisions et organiser leur apprentissage en toute autonomie. Pour ce dernier point, les chiffres et les statistiques classés par rôle sont si possible directement intégrés dans les différents systèmes HR. De plus, dans la plate-forme d’apprentissage récemment lancée, des algorithmes automatisés et personnalisés permettent de formuler des recommandations d’apprentissage. Ces recommandations reposent sur les activités d’apprentissage déjà effectuées, sur les compétences citées en priorité par les collaborateurs·trices dans leur développement et sur les parcours d’apprentissage établis de manière individuelle ou partagés par les expert·e·s et les cadres internes.

Conformément à l’usage courant dans les environnements agiles, il convient de vérifier régulièrement ces éléments et leur interaction, d’en tirer les enseignements et de les améliorer de manière continue («Plan – Do – Check – Act»).        

Une première conclusion

L’analyse de l’apprentissage est un travail de longue haleine. Une grande partie du travail consiste à recueillir, organiser, préparer et nettoyer des données de tout type. Et pour certaines données dans l’entreprise, il faut d’abord se familiariser avec de nouvelles méthodes, de nouveaux processus ou comportements pour que ces données puissent être générées: par exemple, effectuer un suivi au lieu d’inscrire, marquer comme «effectué» au lieu d’effectuer un contrôle de présence, évaluer régulièrement les niveaux de compétences au lieu de regrouper les confirmations de participation à une formation. Les collaborateurs·trices doivent s’y habituer et sont ainsi associés au pilotage du processus de collecte des données. 

Une bonne qualité des données est une condition essentielle aux analyses. Les bases pour des analyses descriptives et diagnostiques sont par exemple établies avec le Learning Report et des évaluations standardisées de l’efficacité. Nous n’en sommes qu’au début en ce qui concerne le Learning Record Store et les analyses qui en découlent pour les prévisions. La question de savoir comment les différentes procédures peuvent avoir des effets sur les objectifs de l’entreprise et l’employabilité des collaborateurs·trices reste à éclaircir. Une condition essentielle pour la mise en œuvre est de formuler et de vérifier des hypothèses et des cas d’utilisation pertinents concernant l’utilisation des offres d’apprentissage, l’acquisition de compétences et de connaissances et les objectifs de l’entreprise. Par exemple: «Des formats ludiques favorisent la réussite de l’apprentissage et améliorent donc la satisfaction de la clientèle dans les boutiques.» Ou: «Une formation initiale uniforme pour les nouveaux cadres améliore la satisfaction au travail.» Ces cas d’utilisation permettent de développer des scénarios favorables qui mettent en évidence, pour certains groupes cibles, des enseignements pertinents et des propositions de mesure compréhensibles. 

Dans tous les cas, l’analyse de l’apprentissage est l’élément central d’une formation en entreprise basée sur les données. Elle s’est incontestablement établie dans les grandes entreprises après la pandémie. Pour sa mise en œuvre, les conditions suivantes doivent être remplies: 

  • L’infrastructure technique permettant de relier des plates-formes d’apprentissage et des applications pour l’échange de données doit être disponible;
  • L’entreprise doit être disposée à faire preuve d’un esprit pionnier et de persévérance afin de permettre des cas d’utilisation dont le résultat est incertain;
  • et, surtout, les collaborateurs·trices chargés de la formation initiale et continue en entreprise doivent acquérir de nouvelles compétences et bénéficier du transfert de compétences nécessaire pour pouvoir gérer ces quantités de données. Il faut faire preuve de motivation et accepter le fait qu’au lieu de développer des formats d’apprentissage, il s’agit maintenant d’assumer de nouvelles tâches, parmi lesquelles la collecte, le regroupement, la normalisation et l’analyse des données d’apprentissage.

La saisie, le regroupement et la remise en question des besoins propres à l’entreprise et à chaque rôle et, par conséquent, des objectifs individuels d’apprentissage et de développement professionnels décentralisés dans l’organisation, restent une tâche permanente mais passionnante.

  1. xAPI est une spécification de logiciel d’apprentissage en ligne qui permet au contenu d’apprentissage et aux systèmes d’apprentissage de communiquer entre eux afin d’enregistrer et de suivre tous les types d’expériences d’apprentissage dans plusieurs contextes.
  2. L’entrée en vigueur de la nouvelle loi suisse sur la protection des données est prévue pour septembre 2023. 

Sources

SOLAR; Society for Learning Analytics Research: https://www.solaresearch.org/

LPI; The Learning & Performance Institut: www.thelpi.org/the-learning-awards/

Scil, Swiss Competence Center in Innovations for Learning: https://www.scil.ch/scil-research/

Emmerich Stoffel est analyste de l’apprentissage au sein de la One Swisscom Academy. Contact: emmerich.stoffel@swisscom.com