L’apprentissage expansif dans l’engagement citoyen
Cet article montre que l’engagement citoyen est un espace d’expérience significatif pour l’apprentissage expansif en ce sens qu’il crée des possibilités d’action pour l’individu. Au moyen de réflexions théoriques et de données empiriques et qualitatives, des processus d’apprentissage individuels et collectifs sont mis en évidence dans l’engagement citoyen. Ces derniers vont au-delà de l’acquisition de connaissances: l’élargissement des compétences, le développement de la personnalité, l’intérêt général et la reconnaissance sont des aspects essentiels pour les individus qui s’engagent. Les données font aussi apparaître des barrières structurelles qui peuvent entraver ces processus d’apprentissage. Cependant, de manière générale, il est clair que l’apprentissage expansif dans l’engagement citoyen favorise le développement des individus.
1 Introduction
Dans une époque marquée par des difficultés sociales, l’engagement citoyen est de plus en plus considéré comme un moment important de la participation démocratique. Les personnes qui s’engagent, que ce soit dans des associations, dans le cadre d’initiatives ou dans des contextes politiques, ne le font pas seulement pour l’intérêt général. Elles ont aussi le sentiment d’être des individus qui agissent, qui remettent en question les conditions sociales existantes et qui veulent les changer. L’engagement n’est donc pas seulement important en termes d’action, c’est aussi un espace essentiel pour l’apprentissage et le développement personnel, pour la participation politique et pour avoir une influence. Dans ce contexte, le concept d’apprentissage expansif de Klaus Holzkamp permet d’aborder l’engagement citoyen sous un angle théorique. L’apprentissage tel que Holzkamp le conçoit n’est pas seulement une adaptation à des conditions déterminées. Il s’agit aussi d’une réflexion consciente sur ses propres conditions de vie qui a pour objectif, dans un premier temps, de «permettre à l’individu qui apprend d’accéder au monde matériel et social des rapports de sens de la société» (Holzkamp 1995, p. 838) et d’élargir ses capacités d’action personnelles dans le contexte social (cf. Holzkamp 1993, p. 181; 1995, p. 838). En ce sens, l’engagement citoyen peut se définir comme un domaine dans lequel des processus d’apprentissage peuvent être déclenchés. À travers la critique, la participation et le changement, ces processus dépassent ce qui est déjà existant.
Pour comprendre le lien entre apprentissage expansif et engagement citoyen, cet article présente d’abord (2) ce dernier en tant que champ d’apprentissage. Le concept de l’apprentissage expansif développé par Holzkamp est ensuite brièvement expliqué (3). Le chapitre suivant (4) présente de premiers résultats empiriques issus d’un projet sur l’engagement. Ces résultats sont analysés par rapport aux processus d’apprentissage expansif. Enfin, (5) l’importance de l’engagement citoyen en tant que champ d’apprentissage expansif est résumée. Sur cette base, des réflexions sur les conséquences pour la théorie, l’empirisme et la pratique sont abordées.
2 L’engagement citoyen en tant que cadre
L’engagement citoyen est un champ d’apprentissage et d’action qui, dans un contexte d’individualisation croissante et de mondialisation, occupe une place importante dans l’action sociale et aussi dans les recherches sociologiques, politiques ou en sciences de l’éducation. Outre les conditions-cadres, les structures, ou les actrices et acteurs, ces recherches étudient aussi l’apprentissage. «Comme [ces recherches] intègrent, transforment et élargissent de nouveaux horizons de sens à partir du champ de possibilités social, l’apprentissage représente, en tant que vecteur de différenciation, d’élargissement et de changement des significations, un moteur central, tant pour les processus de socialisation que pour le façonnement des conditions sociales par l’individu» (Faulstich/Ludwig 2008, p. 21). Cette condition est notamment et nécessairement remplie dans l’engagement citoyen, c’est-à-dire dans le cadre d’activités bénévoles, orientées vers l’intérêt général, effectuées par les citoyennes et citoyens dans l’espace public, le plus souvent de manière collective ou sous forme de coopérations. Cette forme d’engagement se déroule dans des environnements dont les intérêts divergent, entre l’État, le marché et la sphère privée. Elle représente un domaine à part entière de coresponsabilité dans la société civile. Selon le contexte, des délimitations et des inclusions avec d’autres notions sont opérées, par exemple avec le travail bénévole. Ainsi, Bettina Hollstein cite cinq caractéristiques généralement attribuées à ce dernier: (1) le volontariat, (2) l’absence d’orientation lucrative matérielle, (3) l’orientation vers l’intérêt général, (4) un cadre d’exécution qui se situe dans l’espace public et (5) une approche pratique collective ou coopérative (cf. Hollstein 2017, p. 1; cf. également von Küchler 2008, p. 20).
Pour notre projet intitulé «Renforcer l’apprentissage dans le bénévolat» (durée 04/2024 – 03/2026) soutenu par la fondation scientifique Mainzer Wissenschaftsstiftung, nous employons la notion d’engagement citoyen. Au fil des années, elle est devenue une catégorie générale qui regroupe différentes formes d’expression, du travail associatif classique aux initiatives d’entraide, en passant par les nouveaux mouvements sociaux et les formats participatifs dans des secteurs comme l’éducation, la santé ou la culture (cf. Simonson et al. 2014, cité d’après Weber 2020, p. 115). Ainsi, dans l’engagement citoyen, la dimension politique et sociale de l’action est plus marquée que dans le travail bénévole: l’engagement citoyen fait référence à la participation active de citoyennes et citoyens au développement de la communauté, que ce soit à l’échelon communal, régional, national ou supranational. Dans cette perspective, l’engagement citoyen n’est pas seulement perçu comme une prestation individuelle, mais comme une pratique collective pour renforcer les structures démocratiques et influer sur les évolutions de la société (cf. von Küchler 2008, p. 21). Cette réflexion sur des marges d’action et d’interprétation élargies au niveau individuel et collectif rend la notion d’engagement citoyen particulièrement appropriée pour ce projet et cet article. Cette notion permet de mettre en relation des perspectives individuelles avec la responsabilité sociale et de concevoir l’engagement comme faisant partie intégrante d’une société citoyenne active. Une conception de l’apprentissage centrée sur l’individu semble particulièrement adaptée ici, car le monde dans lequel évolue l’individu n’est pas présenté comme un état prédéterminé, mais comme un espace de possibilités de sens produit par la société (cf. Faulstich/Ludwig 2008, p. 14; Lerch 2010, p. 139): «Les aspects de sens que l’individu peut, dans une telle ‘relation de possibilités’, convertir en actions dépendent des raisons qu’il a de le faire, selon ses intérêts de vie (axés sur les possibilités d’action/l’amélioration de la qualité de vie» (Holzkamp 1995, p. 838). L’apprentissage en tant que «moyen possible, pour l’individu qui apprend» (Holzkamp 1993, p. 181), d’accéder au monde et aux structures de significations sociales (cf. Lerch 2010, p. 128) est compris comme une forme spécifique de l’action sociale. Via celle-ci, l’individu qui apprend tente de pénétrer dans l’espace de possibilités matériel et social produit par la société pour exploiter et acquérir ainsi certaines dimensions de son objet d’apprentissage. Les configurations de signification sociales n’existent donc pas en soi, elles acquièrent leur pertinence par l’action d’apprentissage de l’individu (cf. Faulstich/Ludwig 2008, p. 25; cf. Ludwig 1999, p. 675).
3 L’apprentissage expansif dans l’engagement
Le but de l’action d’apprentissage expansif est de développer des compétences générales pour parvenir à une meilleure qualité de vie, telle qu’on peut souvent la vivre dans une activité bénévole. La conception individuelle en tant qu’autonomie et liberté de choix n’est jamais synonyme d’une autonomie complète d’un «moi» isolé, mais elle est toujours liée au champ de possibilités sociales dans lequel agissent les personnes apprenantes (cf. Bender 2004, p. 41). Dans ce champ de possibilités, l’individu autonome peut choisir quels aspects de l’apprentissage il souhaite apprendre de manière séparée ou expansive (liberté de choix) (cf. Lerch 2010, pp. 135-138). En revanche, les motivations d’un apprentissage défensif visent seulement «à éviter, grâce à l’apprentissage, toute menace ou atteinte à la qualité de vie» (Holzkamp 1993, p. 190). Dans ce cas, l’apprentissage a lieu sous la contrainte. Cet aspect est dans une large mesure relégué au second plan dans le contexte de l’engagement citoyen, comme nous avons pu le constater dans tous nos entretiens. Dans le cas de l’apprentissage expansif, l’individu vit l’expérience de l’écart, liée à l’action de référence quotidienne qui aboutit à l’action d’apprentissage, et a pour objectif de comprendre et/ou de modifier les horizons de sens sociaux existants afin de promouvoir la participation sociale. Dans l’apprentissage défensif, l’individu vise à se prémunir d’une menace sur sa qualité de vie actuelle et/ou d’une restriction de celle-ci (cf. Holzkamp 1993, p. 190; Ludwig 1999). Holzkamp renvoie ainsi aux actions d’apprentissage subjectives, créant un lien avec les catégories de la participation sociale, de la contribution et de la solidarité (cf. Holzkamp 1993, p. 21). Et c’est notamment dans l’engagement citoyen qu’une telle approche semble remarquablement s’exprimer, car on est en présence d’un changement «d’un comportement guidé par des conditions externes vers une action riche de sens, avec des liens de justification et de signification compréhensibles» (Faulstich/Ludwig 2008, p. 12). Parfois, les motivations sont l’envie d’aider, la sociabilité ou la volonté de contribuer à la société (cf. Schmidt-Hertha/Thalhammer 2016, p. 308; cf. entretien 2, l. 125-128, l. 143). Une autre fois, cela peut être une forme de participation sociale qui peut être utilisée par des personnes âgées (cf. Simonson et al. 2014, p. 8; cf. Lerch 2021). Cette forme de participation sociale peut aussi être perçue comme une activité riche de sens (cf. entretien 2, l. 16 et s.; entretien 3, l. 307 et s.). Les activités bénévoles peuvent aussi permettre d’établir de nouveaux contacts (Wegweiser Bürgergesellschaft 2001) ou contribuer au développement de compétences (cf. Düx et al. 2007; Scharnberg 2021).
Maintenant que nous avons présenté la diversité des motivations (cf. Schäffter 2006; Lerch 2021), nous mettons l’accent sur l’apprentissage expansif. Dans le cadre du projet évoqué plus haut, nous avons effectué des entretiens guidés qualitatifs à la fois avec des participantes et participants à ces offres (entretiens 2, 3, 4 et 10) et avec des personnes chargées de leur coordination (entretiens 1, 5, 6, 7, 8 et 9). Le thème principal du projet est l’apprentissage dans le cadre de l’engagement, qui peut être compris comme un concept d’enseignement et d’apprentissage didactique dans l’engagement social, sociétal et citoyen. En raison de la faible visibilité de ces occasions d’apprentissage, nous avons tenté de déterminer comment renforcer l’engagement citoyen et notamment les offres dans le contexte universitaire1. Dans les entretiens, on constate une interaction entre l’activité au service de la société et la valeur ajoutée personnelle découlant de cette activité; cette valeur ajoutée est ancrée dans la notion d’«engagement citoyen». Cette interaction existe indépendamment du fait que les individus se retrouvent et s’engagent sporadiquement et de manière auto-organisée ou bien de manière durable et structurée (cf. Lerch 2021, pp. 29–38). Les personnes n’apprennent pas seulement pour elles, mais aussi pour la communauté et la société. Grâce aux actions créatives, l’apprentissage se transforme également en une approche orientée vers l’intérêt général. Ces deux perspectives, l’une individuelle et l’autre sociale, sont riches de sens. Nous étayons par des données empiriques ces enseignements acquis par la théorie. Pour ce faire, nous allons examiner à titre d’exemple des extraits d’entretiens sélectionnés.
4 Valeurs ajoutées expansives: résultats empiriques
Dans les entretiens menés jusqu’à présent et dans leur analyse, les valeurs ajoutées possibles qui ont pu être identifiées sur le plan individuel sont un élargissement des compétences, avec de premières références aux «Future Skills», au développement de la personnalité, à la reconnaissance et à une expérience du bonheur. Sur le plan collectif, la quête de sens et l’intérêt général ressortent des entretiens.
4.1 Sur le plan individuel
Par le biais de l’engagement citoyen, par exemple dans des associations, dans un établissement pour personnes âgées ou lors d’ateliers sur le numérique avec des seniors (cf. entretien 1, l. 274 et s. et entretien 2, l. 149 et s.), les individus peuvent s’entretenir avec d’autres personnes et acquérir dans le même temps des compétences (p. ex. capacité à résoudre des problèmes, à gérer le changement, à dialoguer) qui sont autant de compétences fondamentales dans la vie. Cet extrait le montre à titre d’exemple:
«[…] nous mettons en garde les personnes apprenantes en leur disant qu’il est normal que parfois tout ne fonctionne pas dans un projet; c’est aussi le cas dans le monde du travail, il y a parfois des moments où l’on se demande comment on va faire pour y arriver. Et c’est précisément là où il y a beaucoup de choses à apprendre.» (entretien 5, l. 525–531)
Un autre entretien souligne l’importance de l’engagement citoyen pour la transmission des compétences sociales; l’interaction entre le cabinet d’ingénieurs et l’université est jugée bénéfique. La transmission de telles compétences est particulièrement précieuse, car les futurs ingénieurs devront eux aussi avoir des compétences sociales dans leur profil de compétences (cf. entretien 7, l. 243–464).
En plus de la formation universitaire, le fait de travailler avec d’autres personnes, le dialogue et, un peu plus tard, le changement de perspective sont également abordés:
«Le plus intéressant, ce sont ces changements de perspective ou lorsqu’une personne commence à modifier sa perspective.» (entretien 1, l. 303 et s.).
Le fait de se mettre à la place d’autrui et l’apprentissage possible qui en résulte sont jugés importants pour l’avenir. Outre cet aspect relationnel essentiel, un autre élément est mentionné dans les entretiens: les «Future Skills». De manière générale, elles désignent (cf. Ehlers 2019) les aptitudes qui seront requises dans un monde toujours plus complexe et avec lesquelles les individus peuvent trouver leurs repères au travail et dans la société. Les compétences de coopération ainsi que les compétences conceptuelles font référence aux Future Skills au cours des études et à leur importance pour les personnes étudiantes et/ou diplômées, comme le montre une enquête récente auprès de personnes diplômées (cf. Koller et al. 2025). Des compétences essentielles dans la vie professionnelle sont également développées, comme le révèle l’extrait ci-après, qui fait allusion aux équipes et aux rôles:
«C’est quelque chose que j’ai vraiment pu développer avec le travail bénévole, tout comme la méthode générale pour résoudre les problèmes et les conflits. Comment dois-je m’y prendre pour gérer les différends dans des groupes?» (entretien 4, l. 149 –151)
Les entretiens montrent aussi que les personnes apprenantes, à travers l’engagement citoyen, renforcent surtout leur efficacité personnelle, en plus des connaissances techniques qu’elles acquièrent. Elles se sentent capables d’agir, ce qui contribue au développement de compétences transversales et à un élargissement durable de leurs compétences opérationnelles (cf. entretien 6, l. 372–377). Sur le plan individuel, l’engagement citoyen a un effet immédiat sur le développement de la personnalité. Les activités dans ce domaine se concentrent sur le vivre-ensemble (cf. entretien 1, l. 46 et s.). Même pendant les périodes de crise (p. ex. crise climatique et pandémie de coronavirus), «il y avait toujours beaucoup d’enseignantes et d’enseignants qui ont ressenti ce besoin d’agir; la motivation n’a jamais fait défaut» (entretien 5, l. 360–363). Cet extrait montre que l’accent mis sur le vivre-ensemble est en lien étroit avec les raisons qui incitent les gens à s’engager bénévolement.
Dans ce contexte, la reconnaissance est associée à un moment individuel et collectif qui se reflète dans l’expérience du bonheur, dans le respect de l’autre, dans l’ouverture aux autres. La reconnaissance recèle deux aspects: (1) adopter une attitude afin de découvrir ce qui se cache derrière les parcours de vie individuels, c’est-à-dire «être vraiment à l’écoute de l’autre pour se connecter à lui et réfléchir à ce que l’on peut faire ensemble» (entretien 1, l. 60-63). Parfois, elle est aussi synonyme de bonheur, par exemple au cours d’une activité au sein d’une association, lorsque l’on se sent accepté et valorisé (cf. entretien 3, l. 222 et s.). L’engagement collectif repose sur le partage d’histoires, les échanges, les réflexions communes, ce qui permet d’apprendre et d’agir ensemble (cf. entretien 1, l. 69 et s.). De telles expériences de reconnaissance, d’échanges et de réflexion commune soulignent le fait que, dans l’engagement bénévole, ce n’est pas seulement la participation sociale qui se concrétise: des processus d’apprentissage importants sur le plan individuel sont également amorcés. Au sens de Holzkamp, ils ont pour objectif un élargissement des possibilités d’action et une amélioration de la qualité de vie. (2) Le fait d’obtenir de la reconnaissance apparaît également dans l’extrait suivant:
«Malheureusement, la reconnaissance à elle seule ne permet pas de financer les locaux, la publicité ou d’autres choses, […]. Je pense qu’on a déjà fait beaucoup si on rappelle aux gens le travail exceptionnel effectué par les nombreuses associations car beaucoup d’entre elles disparaissent […].» (entretien 4, l. 263-267)
Outre une faible reconnaissance sociale et individuelle, cette citation fait aussi apparaître la présence de barrières financières et structurelles qui empêchent de valoriser et d’apprécier le travail bénévole, et qui nuisent à sa visibilité.
4.2 Sur le plan collectif
En plus des raisons (cf. Faulstich 2015) liées à l’individu et à ses raisons d'apprendre «qui sont encadrées par des possibilités et barrières sociales» (Faulstich/Ludwig 2008, p. 25), il existe aussi des motivations qui dépassent le cadre individuel et qui présentent une dimension sociale pertinente en tant qu’implication. Elles apparaissent comme une valeur ajoutée collective et se retrouvent aussi dans les données empiriques qualitatives. Afin de présenter le thème de manière succincte, deux aspects particulièrement frappants doivent être clarifiés.
L’orientation vers l’intérêt général fait référence à la mission de l’éducation, à savoir promouvoir la responsabilité sociale au-delà des intérêts individuels et contribuer activement à la création de conditions démocratiques, équitables et solidaires. L’éducation des adultes orientée vers l’intérêt général n’a pas pour objectif principal l’exploitation économique ou l’amélioration individuelle des performances, mais le renforcement de la participation sociale, l’égalité des chances et la cohésion sociale. Cela signifie qu’il faut comprendre l’éducation comme un espace public dans lequel on négocie différentes perspectives, on mène une réflexion critique sur les inégalités sociales et on encourage les capacités d’action collectives. L’engagement citoyen est particulièrement propice à la réalisation de chacune de ces missions. Certains extraits d’un entretien font référence à cela, par exemple: «[…] Je constate régulièrement que […] les personnes sortent de leur isolement social […]. Un espace social […], l’un des rares qui existent à cet effet, dans lequel des individus peuvent se rencontrer» (entretien 1, l. 485 et s.). Le lien entre le sentiment d’appartenance et les espaces sociaux est jugé crucial, c’est-à-dire que l’apprentissage intergénérationnel, la disposition à travailler avec d’autres et à s’impliquer activement dans la conception des univers de vie communs ont toujours une grande importance. La citation suivante le montre clairement: «Ce qui compte, ce sont la communauté, les intérêts communs, les développements communs et les objectifs communs» (entretien 4, l. 74 et s.). Ou dans cette citation: «La plupart y voient une lacune et veulent changer les choses» (entretien 5, l. 551).
Si l’on se base sur une perspective de politique éducative, le fait de donner du sens sur le plan social est une mission éducative judicieuse, mais qui est parfois négligée: l’éducation doit donner aux individus les moyens nécessaires pour qu’ils puissent se connaître et comprendre les conditions sociales, porter un regard critique sur elles et participer à leur conception. Cela implique une réflexion sur les valeurs, les normes et les orientations collectives ainsi que la capacité à réfléchir sur ses propres actions dans un contexte social. L’éducation devient donc un espace dans lequel non seulement des connaissances sont transmises, mais aussi des schémas d’interprétation sociaux sont négociés, remis en question et (co-)conçus. L’engagement citoyen est une forme d’expression significative de la participation sociale et de la prise de responsabilités.
«[Il est important] de prendre position dans cette société et d’avoir une responsabilité, c’est-à-dire d’avoir une voix qui compte et de la faire réellement entendre pour que les évolutions sociales aillent dans la bonne direction.» (entretien 6, l. 406-409)
L’engagement citoyen offre donc des champs d’action concrets, dans lesquels des questions de sens importantes sur le plan social ne sont pas seulement traitées sous l’angle de la théorie, mais peuvent aussi être testées et appliquées dans la pratique. Les personnes engagées agissent pour l’intérêt général, elles participent à la création de relations sociales et s’engagent dans des processus politiques ou relevant de la société civile. Ces personnes sont motivées par le sens que revêt leur action sur le plan social, par la reconnaissance et par le fait que leur action est efficace.
4.3 Obstacles
Comme indiqué précédemment (3), les entretiens ne font apparaître aucune expérience d’apprentissage défensif. Toutefois, divers obstacles à l’engagement citoyen sont mentionnés et peuvent entraver l’apprentissage expansif. On peut citer par exemple l’expertise et le «savoir-faire»: «Si l’on a des postes où il n’y a que des bénévoles qui aiment passionnément leur travail et qui s’engagent pleinement dans celui-ci, mais qui n’ont pas le ‘savoir-faire’, alors tout cela ne sert à rien [...].» (entretien 2, l. 320–322). Certes, il existe des offres de formation pour les personnes qui exercent une activité bénévole, mais cela implique souvent du temps supplémentaire à consacrer et l’utilisation de ressources pour ces personnes: «[…] Les formations signifient des dépenses élevées ou que l’on s’engage à travailler pendant trois ans […]» (entretien 3, l. 260). Parfois, des supports didactiques pour se préparer à l’engagement bénévole sont mis à disposition pour l’auto-apprentissage, mais tout cela repose sur la confiance, et les connaissances ne peuvent pas être vérifiées (cf. entretien 10, l. 692).
Sur le plan conceptuel, les obstacles qui se posent dans l’engagement citoyen sont la situation financière, l’équipement et les relations publiques. S’agissant des possibilités financières, des critiques sont formulées à propos du soutien insuffisant des activités bénévoles par l’État (cf. entretien 8, l. 153 et s.). À l’échelon communal, les personnes souhaitent que l’engagement citoyen soit mieux soutenu: «À mon sens, la dotation financière de la ville devrait être plus élevée, également en ce qui concerne la transformation numérique» (entretien 2, l. 31–32). Dans tous les entretiens, il apparaît que la société en général accorde trop peu d’attention à l’engagement citoyen et aux activités bénévoles. Les structures et les rouages des relations publiques pourraient aussi être améliorés: «Je pense que c’est [aussi] de notre faute [...] si nous ne mettons pas assez l’accent sur ce qui a vraiment [...] [une valeur ajoutée] par rapport à un séminaire de lecture classique par exemple» (entretien 9, l. 516–518).
5 Conclusion
Cet article a montré, au moyen d’éléments théoriques et empiriques, que l’engagement citoyen est un domaine important pour l’apprentissage au sens de Holzkamp. Les données empiriques prouvent que les personnes qui s’engagent n’ont pas seulement le sentiment d’être efficaces à travers leur activité. Elles élargissent aussi les horizons de sens sociaux via leur activité, par exemple par un changement de perspective, par l’accomplissement d’un travail relationnel ou par la participation à la conception de milieux de vie. Ici, l’apprentissage ne se résume pas à l’acquisition de connaissances. C’est un processus important sur le plan personnel, qui élargit les compétences et développe la personnalité dans le champ de possibilités social.
Dans le même temps, le potentiel expansif de l’apprentissage n’est pas exempt de conditions. Les entretiens mettent clairement en évidence des barrières structurelles telles que des moyens financiers insuffisants, des contraintes temporelles ou un manque de soutien de la part des institutions. Ces barrières peuvent compliquer l’engagement, et donc les processus d’apprentissage. D’autres obstacles apparaissent (p. ex. un savoir-faire insuffisant), en raison desquels l’apprentissage expansif ne peut se produire ou s’enlise dans le cadre de l’engagement citoyen. En revanche, aucun apprentissage défensif au sens strict ne transparaît dans cette étude.
Les résultats montrent clairement que l’engagement citoyen n’est pas seulement une activité relevant de la politique sociale. Il présente aussi une utilité pour la théorie de l’éducation. Les raisons de la participation ont déjà été étudiées dans différents travaux de recherche (cf. Behringer 2023; Hollstein 2023). Les principales raisons sont le souhait d’avoir des lignes directrices et de vivre de nouvelles expériences. Il existe aussi des raisons altruistes ainsi que des raisons autocentrées comme la distraction, la satisfaction et la quête de sens (cf. Benedetti 2015; Scharnberg 2022). Cet article ayant mis l’accent sur l’apprentissage expansif, d’autres travaux pourraient porter sur les raisons d’apprentissage subjectives dans l’engagement citoyen, dans le travail bénévole ou, concernant les hautes écoles, dans le «service learning», qui combine apprentissage et engagement au service de la société.
Ces travaux peuvent donner des pistes de réflexion pour la théorie (p. ex. développement du concept ou base théorique de l’apprentissage expansif et de l’engagement), l’empirisme (p. ex. travaux sur les raisons d’apprentissage subjectives et le bénévolat via des entretiens narratifs ou biographiques) et la pratique (p. ex. ateliers sur le lien entre parcours de vie et bénévolat).
- Des recommandations pratiques pour une mise en œuvre à l’Université Johannes Gutenberg (JGU) de Mayence doivent également être formulées.
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