24.05.2022
N°1 2022

La formation continue dans la crise: chances d’un développement de l’offre axé sur les besoins

La demande de formation continue a décliné. Les prestataires ont adapté leurs structures organisationnelles, réduit leur personnel et numérisé une partie de l’offre. Ils espèrent une reprise de la demande et commercialisent leurs offres sur une base en partie numérique et en partie présentielle. La question qui se pose est si l’offre commercialisée répond aux besoins. Car la crise de la pandémie entraîne sans doute un changement des besoins et des conditions d’apprentissage. Il faut donc tout d’abord déterminer les besoins de formation. À l’heure actuelle, la tendance va toutefois dans une autre direction. Les prestataires préfèrent mettre l’accent non pas sur la détermination des besoins d’apprentissage, mais sur le marketing des produits – ce qui n’aide guère le personnel de formation continue dans ses efforts de répondre aux besoins d’apprentissage. Seule une détermination bien fondée des besoins pose la base d’un processus d’offre complet. Et génère la confiance côté demande. 

La crise de la pandémie et l’espoir d’une normalisation de la demande

Le secteur de la formation continue se débat contre les répercussions de la crise déclenchée par la pandémie. Les bouleversements des dernières années pèsent massivement sur les acteurs. Après l’éruption de la pandémie, de nombreux prestataires ont réalisé des solutions numériques pour leurs programmes et leurs manifestations. La demande a néanmoins décliné en de nombreux lieux, ce qui ressort clairement de la statistique officielle de la participation à la formation continue pour 2020 (OFS 2021). Les perspectives des prestataires se sont assombries: en 2020, les prestataires interrogés en Suisse dans le cadre de l’étude sur la formation continue 2020/2021 prévoyaient des pertes de chiffre d’affaires de 28 % en moyenne (Gollob et al. 2021); environ deux tiers des prestataires ont réduit le temps de travail de leur personnel et supprimé des mandats d’enseignement confiés à des collaborateurs·trices externes. En 2021, selon un autre sondage, les pronostics négatifs en matière de chiffre d’affaires se sont largement confirmés, et l’on ne s’attend qu’à une lente reprise (Poopalapillai et al. 2021, pp. 3 ss). Les entreprises, le personnel et les formateurs·trices indépendants sont confrontés à des questions économiques existentielles.

Un nouvel essor de la formation continue dépend d’une reprise rapide de la demande. On espère qu’elle permettra de relancer les programmes, de prospecter des espaces d’action numériques et d’élargir la base des activités de l’entreprise. Cet espoir est bien compréhensible et justifié dans la mesure où beaucoup de situations d’enseignement-apprentissage ont déjà été converties en enseignement à distance et en plateformes numériques (Gollob et al. 2021, pp. 24 ss). Mais même si la demande devait se rapprocher à nouveau à court terme au niveau d’avant la crise, des questions fondamentales se poseraient pour les prestataires: les champs d’activité précédents vont-ils perdurer, les groupes cibles pourront-ils effectivement être atteints par voie numérique? La pandémie et la numérisation posent simultanément de grands défis aux entreprises évoluant dans un environnement de marché instable. Les rapports de concurrence, les structures de travail et les activités de l’éducation des adultes vont probablement changer (Schenkel 2019). Et les opérations numériques sont transnationales. Il y a déjà un bon moment que de grands groupes technologiques extérieurs à la branche ont pénétré le secteur de la formation et de l’événementiel (Grotlütschen 2018). 

Une stratégie d’entreprise qui mise sur la stimulation de la demande fait ainsi face à des insécurités structurelles. Les besoins et conditions d’apprentissage, c’est-à-dire les facteurs en amont de la demande, changeront sans doute également dans la crise. Ils le font depuis quelque temps déjà, parce que les rapports de travail ont été flexibilisés et que les exigences en termes d’équilibre entre la vie professionnelle et la vie privée ont augmenté. La crise actuelle a toutefois des conséquences d’envergure. Sous le régime de l’éloignement social et des confinements, la participation à la formation continue a décliné dans de nombreux pays. Certains groupes cibles ont perdu l’accès à la formation continue par manque de possibilités d’apprentissage, de compétences médiatiques et de temps disponible. C’est par exemple le cas pour la formation continue en entreprise. Selon une étude exploratoire de l’OCDE (2021), dans les secteurs économiques qui ne pouvaient pas fournir leurs prestations en ligne (p. ex. de nombreuses prestations de services), les personnes moins qualifiées ont été coupées des possibilités de formation dans les longues phases de restriction des activités d’entreprise. Par ailleurs, les travailleuses et travailleurs précaires présentent un plus grand risque que la moyenne de tomber malades. Pour toutes ces personnes, l’horizon de l’apprentissage tout au long de la vie pourrait devenir plus étroit et plus court (Käpplinger 2020), ce qui touche également la demande. Malheureusement, les rapports entre les crises, la précarité et le comportement de formation continue restent encore peu explorés (Hufer 2021).

Un premier constat: si l’on met l’accent sur la stimulation de schémas connus de la demande, on risque de ne pas porter l’attention nécessaire aux structures de marché et aux besoins d’apprentissage modifiés, ce qui pourrait se faire au détriment d’une gestion durable de la crise. Les questions relatives à l’avenir du système de formation continue, telles que la conformité aux besoins, la cohérence des voies de formation et l’égalité des chances, resteraient à l’arrière-plan. La logique de l’offre, axée en premier lieu sur le succès des prestataires dans leur propre champ d’activité, continuerait à déterminer le développement de la branche. 

La logique de l’offre et le régime de marché marquent le secteur de la formation continue en Suisse

La logique de l’offre correspond au régime de marché, qui exige un comportement compétitif des prestataires pour une grande partie du système suisse de formation continue et mesure le succès en termes de ventes et d’efficacité économique. «Ce n’est pas la loyauté envers le sujet à former et disposé à se former qui est au premier plan, mais l’idée de commercialiser de manière profitable la formation et la formation continue.» C’est ainsi que Weber (2009, p. 68) a décrit il y a des années de cela la situation initiale à l’occasion de l’élaboration d’un concept de formation continue pour le canton de Zurich. L’intérêt propre du prestataire à survivre sur le marché et à s’assurer des parts de marché pèse plus lourd que, par exemple, la question de savoir comment se présentent exactement les besoins d’apprentissage des groupes cibles, et comment la participation à des cours disparates peut finalement déboucher sur des étapes de qualification ayant un impact sur le parcours de formation.

La combinaison d’une logique de l’offre et d’un régime de marché domine également la politique de la formation continue. L’État, en particulier la Confédération, préconise une politique réglementaire libérale, qui mise sur les forces du marché et l’autorégulation. Ce n’est que dans la formation professionnelle supérieure (d’importance systémique) que l’État définit lui-même les niveaux de formation et les diplômes et en confie la mise en œuvre à des acteurs corporatifs – associations professionnelles, prestataires de formation. Ses contributions financières s’adressent au côté de la demande, considérant que cela renforce la compétition entre les prestataires auxquels il revient de diriger la demande vers leurs offres. Le marché devient ainsi le «principal évaluateur de la formation continue», comme le remarque Hauser (2011) de façon critique. Ces lignes directrices réglementaires sont inscrites dans la loi nationale sur la formation continue (LFCo 2014): des conditions cadres favorables aux prestataires (art. 4) la responsabilité individuelle pour la formation continue personnelle (art. 5) et la neutralité concurrentielle de toute mesure de l’État (art. 9) en sont les principes.

Le régime de marché présente toutefois des aspects ambivalents. Sur les grands marchés volatils de la formation continue, le laissez-faire s’applique, mais certains domaines partiels sont réglés de manière corporative (Geiss 2020). Au-delà du discours libéral, le régime s’avère indirectement structurant, en acceptant sans les mettre en question les structures de l’offre et les règles de marché établies par les prestataires puissants sur le marché. La nécessité de définir un agenda étatique de politique de qualification et de politique structurelle est niée (Schöni 2017, pp. 46 ss). De tels régimes sont répandus en Europe – de manière spécifique à chaque pays – depuis qu’une politique économique néolibérale impose l’organisation de l’éducation sous forme de marché. Dans la recherche sur la formation continue, on parle pour de tels régimes d’une «marketisation» (cf. Fejes et al. 2016; Košmerl & Mikulec, 2021).

Le lien étroit entre la logique de l’offre et le régime de marché ne devrait guère changer à l’heure actuelle. Les prestataires qui ont allégé leurs structures organisationnelles et ajusté leur offre et leur personnel après le déclin dû à la pandémie seront en mesure de générer une demande rentable dans leurs domaines d’activité. La coordination dans le segment de l’offre et dans les systèmes partiels de la formation continue ne constituera sans doute pas non plus un sujet prioritaire à l’avenir. Ainsi, les volatilités de l’offre, les inégalités structurelles d’accès et les incohérences du système éducatif devraient perdurer, mais elles sont désormais amplifiées par les possibilités de commercialisation dans l’espace numérique. Le premier point de référence du développement de l’offre reste ainsi le potentiel de vente. Qu’est-ce que cela signifie pour le processus de l’offre de formation continue qui, selon la perception professionnelle, englobe la détermination des besoins d’apprentissage, la conception et la planification, la réalisation et l’évaluation?

Axer la formation sur la demande, c’est court-circuiter le processus de l’offre 

La branche s’entend depuis toujours comme prestataire de services reconnaissant les besoins de l’apprentissage tout au long de la vie et concevant des offres en conséquence. En réalité, toutefois, elle offre ce qui peut se vendre. Son offre vise la demande rentable dans les domaines thématiques courants des marchés ouverts ou partiellement régulés de la formation continue. Un comportement «conforme au marché» ne correspond pas seulement à la norme de la loi, il est un prérequis pour obtenir des mandats et des subventions de l’État. Les appels d’offres publics font dépendre les mandats de la performance des mandataires sur le marché; et les programmes sont subventionnés s’ils sont jugés utiles pour l’économie, mais n’opèrent pas (encore) de manière rentable sur le marché.

Or, «le marché» ne propose pas une diversité illimitée d’offres de formation fructueuses, mais une sélection d’offres qui reflète les rapports de force sur le marché. Ce dernier représente l’ensemble des portefeuilles de produits, des segmentations de marché et des critères de performance qui ont été imposés dans leur propre intérêt commercial par des acteurs·trices déterminants sur le marché. Ce qui peut se vendre dans des structures de marché données n’est pas nécessairement ce qui couvre précisément les besoins de formation et contribue de façon optimale à l’apprentissage, mais l’offre qui répond le mieux aux préférences d’utilisation du quotidien – attentes, arguments de coûts, compatibilité temporelle, etc. Le marketing interprète la demande, selon le modèle du secteur des biens de consommation, comme une manifestation de besoins d’apprentissage qui ont entraîné la décision d’achat. On trouve des interprétations analogues du côté de la demande: lors de la recherche d’une offre, les personnes intéressées par une formation et les client·e·s institutionnels se laissent souvent guider, faute d’informations précises, par le comportement d’achat d’autres personnes ou institutions, qu’ils attribuent à des besoins de formation comparables.

En assimilant la demande aux besoins de formation, la pratique du marketing laisse de côté des étapes importantes du processus de l’offre, elle le court-circuite en quelque sorte. Elle cherche en effet la demande rentable par la voie la plus directe possible, sans «détour», par la détermination des besoins et désirs de formation. Elle déduit de la vente du produit qu’est le cours si ces derniers ont été abordés correctement. Elle continue à ajuster la conception des offres au niveau des aspects d’utilité et de coûts jusqu’à ce qu’elles connaissent une demande suffisante sur le marché et fonctionnent de façon rentable (Schöni 2017, pp. 250 ss). Cela peut, mais ne doit pas nécessairement, rendre les voies d’apprentissage plus efficaces. Le prestataire est ainsi renseigné dès l’introduction sur le marché au sujet de la réception et du potentiel de demande de l’objet commercialisé. Cela lui suffit pour apprécier le succès de l’offre, tant qu’il considère avant tout les chiffres de vente. Il lui en coûte moins d’efforts que s’il appuyait son appréciation sur la totalité du processus de l’offre – de la détermination des besoins à l’évaluation. Puisqu’il n’a pas déterminé les besoins d’apprentissage, il n’a pas non plus besoin d’évaluer les résultats par rapport à ces besoins. Dans cette affaire, il revient donc aux personnes apprenantes de «compléter» le processus de l’offre, à savoir: saisir correctement leurs propres besoins d’apprentissage, identifier l’offre de formation qui convient et, à l’issue du cours, évaluer son utilité pour la pratique. 

Pourquoi le marketing ne rend-il pas superflu le processus complet de l’offre?

Le marketing sert donc à susciter la demande, à la diriger vers une offre et à réaliser celle-ci dans des conditions rentables. Il présente l’offre sur le marché comme «univers d’apprentissage» tenant compte de tous les besoins et proposant une surface de projection aux attentes individuelles. Pour interpeller les clients de façon ciblée, on procède d’abord à une analyse et à une segmentation des marchés et l’on teste les préférences en termes de produits. On s’adresse aux personnes intéressées par une formation continue comme à des consommateurs·trices éclairés qui font un choix intelligent dans la gamme, acquièrent des certificats – et acceptent qu’il n’y a pas d’alternative à cela (Schöni 2020, p. 54). Aujourd’hui, la numérisation fournit au marketing de la formation continue des moyens supplémentaires pour accroître son efficacité et sa portée.

Ainsi, la collecte de données de masse sur internet, leur condensation sous forme de profils d’usagers (profilage en ligne, Bernecker 2020), l’approche personnalisée des clients, la distribution numérique et le pilotage des performances au moyen de l’analytique de l’apprentissage, par exemple, promettent une efficacité accrue. Ainsi, le marketing des produits devient, dans le secteur de la formation également, une compétence clé de prestataires couronnés de succès. Ceux-ci se voient toutefois confrontés à l’économie numérique qui pratique le marketing comme activité d’affaires et commercialise aussi sur ses plateformes des contenus de formation et des cours numériques (Grotlüschen 2018; Schenkel 2019). La formation continue utilise elle-même de telles technologies pour soutenir les processus d’apprentissage. Mais si elle se laisse entraîner dans la compétition pour une présence numérique sur le marché, cela mobilise des ressources, ce qui pourrait nuire à ses rapports traditionnellement forts et directs avec les groupes cibles, les besoins d’apprentissage et les univers de vie. 

On pourrait objecter à ce diagnostic que le marketing de la formation continue ne fait qu’aider à amorcer la relation commerciale; contrairement au secteur des biens de consommation, les utilisateurs·trices doivent de toute façon en élaborer eux-mêmes la valeur utile, avec l’aide de spécialistes de l’éducation des adultes. Mais précisément si l’on démarque ainsi l’univers de la commercialisation de celui de l’action de formation «réelle», on peut encore moins exclure que le marketing avec des moyens numériques sape le processus de l’offre dans la formation. Car il construit des besoins d’apprentissage sur la base de données de masse combinées et met en place des concepts de formation au lieu de déterminer les besoins conjointement avec les groupes cibles selon les standards de l’éducation des adultes (Schöni 2017, pp. 65 et 81). Le processus complet de l’offre n’est toutefois pas superflu pour autant. 

Si la branche, précisément en période de crise, mise pleinement sur le marketing produits, aussi bien conventionnel que numérique, cela pourrait même freiner une normalisation de la demande (cf. Schöni 2020, p. 55). Car sans connaissance exacte des besoins d’apprentissage, on ne peut pas cibler précisément les offres de formation. Or, cela serait nécessaire pour renforcer la confiance du côté de la demande. Par ailleurs, le marketing de l’offre ouvre des marchés de croissance auprès de groupes cibles spécialisés, mais il favorise ainsi la segmentation et n’accorde l’accès que de manière sélective. À long terme, la formation continue pourrait ainsi perdre la réception favorable qu’elle doit au fait de se présenter dans les discours publics comme une «seconde chance pour tous», c’est-à-dire comme une possibilité d’acquérir des certifications même après ou en dehors de la formation formelle. Pour le rétablissement de la branche, il sera d’autant plus important de saisir avec soin les besoins d’apprentissage de groupes cibles plus larges également, et d’axer avec précision les offres de formation sur la gestion de problèmes dans le quotidien professionnel, les réseaux relationnels sociaux, le travail de soins et l’action communautaire.

Points de départ et démarche de la détermination des besoins dans la formation continue

Afin de connaître les besoins de formation continue d’un groupe cible, il ne suffit pas d’en sonder les préférences en termes de produits; de même, pour déterminer le besoin d’apprentissage d’un individu, il ne suffit pas que l’orientation en formation continue lui permette de se repérer sur le marché. En effet, l’offre courante peut éventuellement occulter «à la manière d’un stéréotype ou d’une formule magique la question du besoin personnel» (Schlutz 2006, p. 45). Constater qu’une personne a tel ou tel besoin de formation continue ne signifie pas simplement qu’elle doit suivre un programme donné et acquérir un certificat pour être ensuite réputée compétente – mais qu’elle a besoin, eu égard à des exigences définies et à des objectifs personnels, d’aptitudes plus étendues pour l’acquisition desquelles il s’agit de définir des voies d’apprentissage, comprenant l’enseignement, l’entraînement, l’apprentissage encadré ou autonome. Le besoin d’apprentissage est un rapport de polarité, une différence par rapport à la situation visée, et il pose la question des moyens de réduire cette différence. Il convient de répondre à cette question avant la conception de nouvelles offres. 

L’axe central de la détermination des besoins est la comparaison entre l’état visé et l’état réel, sur la base de deux complexes de questions:

  1. Que devrait savoir et savoir faire une personne (état visé) si elle veut agir dans un domaine d’intérêt personnel, un rôle professionnel, une fonction dans la communauté?
  2. De quelles connaissances et aptitudes la personne dispose-t-elle déjà (état réel), et où voit-elle des lacunes et des points de départ pour la formation continue, l’apprentissage et le développement personnel?

Les aptitudes dont la personne souhaiterait ou devrait disposer découlent des exigences dans son domaine d’activité actuel ou futur. Ce qu’elle maîtrise déjà ou ce pour quoi elle possède de bonnes bases est mis en lumière, par exemple, par l’évaluation de ses compétences et expériences par elle-même ou par des tiers. Pour la comparaison état visé/état réel, il convient de tenir compte de nombreux facteurs d’influence: par exemple les exigences générationnelles en matière de mode de vie; les exigences et tendances dans le domaine d’activité professionnel, commercial ou civique; les prescriptions des instances de régulation concernant le niveau de formation, la sécurité au travail, la qualité, la responsabilité, etc.

Selon les standards de qualité de l’éducation des adultes, la détermination des besoins d’apprentissage vise toujours l’obtention d’une base factuelle dans le champ d’activité. Parmi les normes applicables à la marche à suivre comptent par exemple la norme internationale DIN 29990 pour les services de formation (cf. Rau et al. 2011) et la norme de qualité suisse eduQua (2021, critère D1). Des standards analogues sont utiles pour tous les domaines et niveaux de la formation non formelle. Le besoin d’apprentissage est toujours déterminé conjointement avec des membres du groupe cible, les informations pouvant être plus ou moins détaillées selon le contexte et la profondeur de l’étude. Le prestataire et le personnel de formation prennent ainsi connaissance de l’éventail des contenus nécessités, des conditions d’apprentissage et des facteurs d’influence à prendre en compte dans la conception de l’offre de formation. Cet examen aide en même temps à sensibiliser les groupes de personnes impliquées dans leurs milieux socioculturels, professionnels et politiques aux aspects du bilan et de la planification du développement. Plus ces personnes en savent sur l’offre, mieux elles peuvent réduire le «risque d’achat» individuel (Schlutz 2006, p. 38). 

La détermination des besoins dans le dialogue, à l’aide de l’auto-évaluation et de l’évaluation par autrui, d’entretiens structurés et d’ateliers est révélatrice, car elle reflète différents points de vue et peut être répétée dans des phases de développement ultérieures. Elle peut s’appliquer aussi bien dans la formation continue générale (Schlutz 2006, pp. 50 ss) que dans la formation continue en entreprise (Schöni 2001, pp.95 ss) ou dans l’orientation en matière de formation. L’analyse quantitative des données de sondages, des rapports de branche, des études de marché et des statistiques de la formation continue complète la détermination des besoins et fournit des indications pour savoir à qui le concept de l’offre doit être communiqué et de quelle façon, et quelle demande on peut escompter. 

Urgence et perspectives d’une stratégie de l’offre axée sur la demande 

Tandis qu’une stratégie axée sur le marché construit des besoins et des offres et cherche une demande prête à payer, une stratégie axée sur les besoins, comme nous l’avons vu, part des besoins d’apprentissage déterminés dans le champ d’activité, les classe par catégories de compétences et objectifs et conçoit des offres d’apprentissage et des prestations en conséquence. Cela n’exclut pas qu’elle le fasse dans le contexte d’un profil d’offre déjà développé; dans ce cas, elle détermine dans quelle mesure ce profil correspond aux besoins d’apprentissage dans le champ d’activité donné, quels ajustements sont nécessaires et quelle demande on peut attendre. On assure ainsi que l’offre que l’on commercialise ne se contente pas de promettre de couvrir des besoins d’apprentissage, mais possède un potentiel méthodologiquement fondé de renforcer les capacités dans le sens voulu. Un tel fondement est indispensable, notamment en période de crise pandémique et d’incertitude du côté de la demande. De toute façon, il ne sera pas simple d’atteindre des groupes cibles dont les perspectives d’apprentissage et la motivation ont souffert, durant les années de pandémie, d’une insécurité des revenus, d’un lourd travail d’assistance ou de l’isolation sociale. Des narratifs qui ne font qu’invoquer l’utilité d’un effort individuel de formation n’apportent ici aucune aide.

Un challenge consiste notamment à interpeller des groupes de personnes qui participaient déjà moins à la formation continue auparavant et qui sont à présent éventuellement confrontés à des difficultés supplémentaires. Par exemple des travailleurs précaires avec statut de séjour provisoire, dont l’accès à la formation continue a été rendu plus difficile à la suite des restrictions imposées par l’État en raison de la pandémie et du passage aux cours en ligne. Ou encore des personnes pour lesquelles une détermination des besoins et des objectifs semblait moins s’imposer jusqu’alors, parce qu’elles participent à des programmes sur ordre des autorités, par exemple les chômeurs, les personnes présentant des troubles de santé ou les demandeurs d’asile. Pour ces groupes, il importe de connaître non seulement les besoins d’apprentissage, mais également les obstacles à la formation et les expériences d’apprentissage négatives, afin de rétablir l’accès à la formation continue. Des démarches appropriées à cet effet sont les approches de proximité d’une détermination des besoins dans les réseaux de la vie quotidienne, dans les services de consultation, les associations, les centres de quartier, etc. (Mania 2021), de même que les approches de la détermination des besoins et de la formation en liaison avec les processus de travail dans les entreprises, telles qu’elles ont été élaborées de façon exemplaire dans les programmes de promotion des compétences de base des adultes (Derendinger et al. 2015). Il importe ici de trouver dans la planification des voies d’apprentissage des points de connexion dans le système de la formation non formelle.

De telles approches sont nécessaires dans le domaine des compétences de base des adultes, mais également dans d’autres domaines de compétences, niveaux de qualification et champs d’activité. Plus le développement de l’offre s’appuiera systématiquement sur une détermination solidement fondée des besoins d’apprentissage, plus cela générera des impulsions pour le système de formation continue, par exemple de nouveaux acquis sur les besoins d’apprentissage dans des situations sociales difficiles, les objectifs de compétences appropriés et les formats de formation. On pourrait ainsi esquisser des voies de formation spécifiques aux groupes cibles, qui ne s’arrêtent pas aux frontières du segment de qualification et de la formation non formelle. De fait, la loi suisse sur la formation continue évoque de telles perspectives sous le titre «Prise en compte des acquis dans la formation formelle» (LFCo 2014, art. 7). La branche ne pourra pas relever ces défis à elle seule. Elle a besoin d’une politique de la formation qui s’oppose plus activement aux mécanismes de segmentation et qui réalise davantage de coordination et de cohérence dans le système de formation continue. Et elle a besoin d’un soutien de la part de la recherche en matière de formation continue, qui doit plus systématiquement que par le passé explorer les tendances de qualification, mettre à disposition des infrastructures de données et fournir à la pratique des auxiliaires méthodologiques.

Références

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Walter Schöni, Dr phil., sociologue spécialisé dans la formation professionnelle continue, le développement du personnel et la gestion de la formation; chargé de cours et conseiller. Contact: walterschoeni@bluewin.ch