Logique de structure et de développement d’une culture de l’apprentissage auto-organisé. À propos de la professionnalisation basée sur les données de la formation continue en entreprise
La formation continue en entreprise joue un rôle clé dans un monde du travail en rapide évolution. Elle permet aux collaboratrices et collaborateurs d’utiliser de manière réfléchie leurs propres ressources, de comprendre les changements technologiques et stratégiques, et de participer activement aux évolutions structurelles de l’entreprise. Mais comment peut-on parvenir à mettre en place non seulement des adaptations à court terme, mais également des dynamiques de développement à long terme? Cet article tente de répondre à cette question sous la forme d’un dialogue. La discussion entre les autrices (chaire Éducation des adultes et formation continue) et Benni Lurvink/René Graf (Coop) apporte un éclairage sur les conditions nécessaires au développement d’une culture de l’apprentissage auto-organisé et d’une professionnalisation, basée sur des données, de la formation continue en entreprise.
1. Les travaux de recherche donnent naissance à des idées: l‘apprentissage auto-organisé et l‘accompagnement de l’apprentissage
Des cultures d’apprentissage dynamiques et propices au développement, soit la thèse directrice de cet article, peuvent voir le jour dès que les entreprises créent des conditions et des structures grâce auxquelles les personnes peuvent apprendre de manière autonome après la prise en compte de leurs exigences professionnelles. L’enjeu est un apprentissage qui met l’accent sur l’élaboration de structures complexes du savoir et le développement de pratiques d’apprentissage individuelles et qui favorise l’individualisation des parcours d’apprentissage (Klingovsky & Kossack 2007, p. 68).
Pour étudier cette thèse, deux étudiantes en master de l’Université de Bâle, spécialité Éducation des adultes1, ont eu, en 2018, la possibilité d’étudier le cours de formation continue «Experte ou expert en vins» chez Coop Campus dans le cadre d’un atelier de recherche. Dans l’entreprise Coop, cette offre de cours est proposée en tant que formation continue en interne à l’ensemble des membres du personnel spécialisés dans l’assortiment de vins dans les points de vente. Sur la base de leurs observations empiriques, les deux étudiantes ont réalisé une «analyse de situation»: elles ont observé le cadre de la salle de cours et ont passé à la loupe divers aspects: l’agencement de la salle, les déplacements des participantes et participants et des responsables de cours, leur place dans la salle de cours et les documents d’apprentissage mis disposition. Elles ont comparé leurs observations avec les objectifs d’apprentissage recherchés, qu’elles ont confrontés aux effets observés en salle de cours. «L’objectif d’une telle analyse est de déconstruire les [...] modèles de pratiques d’enseignement et d’apprentissage, ainsi que de rendre visible et de mettre des mots les omissions, les (im)possibilités, les ruptures et les contradictions nécessairement liées à l'ordre/au désordre respectif» (Klingovsky, 2021, p.45). Les problématiques professionnelles dans la formation continue en entreprise sont identifiées et renvoyées aux acteurs de la formation continue sur place, sous forme de matériel de professionnalisation basé sur des données.
Compte tenu des exigences de l’entreprise en matière de culture d’apprentissage et des dynamiques observées dans les situations, la formation continue «Experte ou expert en vins» a permis d’analyser trois grandes problématiques:
- Transmission de savoir vs compréhension du sens
- Orientation vers l’apprentissage standard vs orientation vers des parcours d’apprentissage individuels
- Régulation des tâches d’apprentissage vs organisation de processus d’apprentissage autogérés
L’analyse de situation empirique dans la salle de cours a donc mis en lumière quelques «problématiques». Au bout de tant d’années de travail de transmission classique, des pratiques et des habitudes se sont établies dans le travail quotidien de la formation continue en entreprise. Aujourd’hui, elles apparaissent quelque peu désuètes et inadaptées à un travail quotidien et à des collaboratrices et collaborateurs qui savent déjà comment apprendre de manière auto-organisée dans un environnement dynamique. Les responsables de la formation initiale et continue chez Coop Campus se sont donc demandé comment et de quelle manière il était possible de développer et d’agencer des formes plus ouvertes d’apprentissage auto-organisé. Comment éviter les «formations» et les séquences classiques de transmission du savoir? Comment faire correspondre au mieux les «connaissances à transmettre» avec le quotidien professionnel des participantes et participants ainsi qu’avec les compétences opérationnelles requises? Comment réduire le «parcours de transmission» et mettre davantage l’accent sur les défis opérationnels que rencontrent les participantes et participants dans leur quotidien? Ces questions, parmi d’autres, ont finalement justifié le désir et le besoin de préparer un changement de la culture d’apprentissage chez Coop Campus. Ce changement basé sur la recherche est opéré de manière systématique avec un soutien professionnel.
2. Des processus d’apprentissage ouverts au développement comme moteur de la transformation
Les sociétés de coaching et les cabinets de conseil promettent souvent à des organisations entières de les amener à une cohabitation plus performante grâce à des modèles et des concepts éprouvés. À la chaire Éducation des adultes et formation continue, nous partons du principe que, dans le contexte de la formation continue en entreprise, «apporter» à une entreprise des concepts déjà développés et participer à leur «application» est une approche moins durable. Les modèles ainsi introduits restent souvent «extérieurs» à l’entreprise et aux collaboratrices et collaborateurs. Ils abordent seulement des questions axées sur la mise en œuvre, telles que «Comment cela va-t-il fonctionner maintenant?». Que signifie ici l’accompagnement de l’apprentissage? Qu’entendent par-là les formatrices et les formateurs? Comment pouvons-nous y parvenir? De telles conditions débouchent souvent sur le problème non résolu du parcours de transmission, dont il est question plus haut: dans l’application/la mise en œuvre d’un schéma ou d’un concept prédéfini, certaines choses sont «laissées de côté».
Pour le travail de développement chez Coop Campus, nous avons choisi un point de départ un peu différent: nous faisons circuler et créons des concepts dont nous définissons la structure de base, nous élaborons des questions d’exploration ouvertes et donnons alors des idées en développant des concepts propres à l’entreprise. Dans des architectures complexes d’apprentissage et de développement, les collaboratrices et collaborateurs sont invités, pendant une certaine période, à étudier de manière approfondie les problèmes rencontrés dans leurs tâches quotidiennes et, dans une certaine mesure, à «apporter de la consistance» au contenu. Le but est alors de dégager un nouveau savoir collectif, de trouver une entente à ce sujet et de développer de manière auto-organisée des compétences pertinentes et appropriées. L’objectif est d’élaborer une variante, spécifique à Coop, d’accompagnement d’apprentissage professionnel. Dans ce type de processus de changement, la forme (apprentissage auto-organisé) et le contenu (accompagnement de l’apprentissage) sont mis en adéquation avec l’objectif que les participantes et participants élaborent eux-mêmes, que ce soit dans des cadres individuels, collaboratifs ou coopératifs. De nouvelles perspectives opérationnelles et organisationnelles s’ouvrent pour le quotidien professionnel concret de la formatrice ou du formateur.
Le «dialogue institutionnel» ci-après est emblématique de ce projet de développement «Vision de l’accompagnement de l’apprentissage 2030 chez Coop Campus», porté conjointement au niveau national par la chaire Éducation des adultes et formation continue et par le Campus Coop Formation initiale et continue. Sur la base d’un entretien avec Benni Lurvink (Coop Campus Formation au niveau national) et René Graf (dernièrement responsable de la gestion des talents chez Coop et président de longue date de Formation du Commerce de Détail Suisse), les principales étapes de la collaboration ont été examinées et les potentiels offerts par l’interaction entre la recherche sur la formation continue, le développement organisationnel et le processus de changement en matière de culture d’apprentissage ont été mis en évidence.
3. De la transmission du savoir à l’accompagnement de l’apprentissage
Nous entrons dans le vif du sujet en abordant la question des particularités du travail de développement commun qui a été mis en place au niveau national entre la chaire Éducation des adultes et formation continue et Coop Campus Formation initiale et continue.
Chaire Éducation des adultes et formation continue: Ce qui est intéressant dans la forme de travail de développement que nous avons choisie, c’est que l’idée d’une culture de l’apprentissage auto-organisé chez Coop Campus a pu voir le jour sur la base des problématiques analysées dans votre pratique de la formation continue en entreprise. Au départ, il s’agissait simplement de prendre du recul par rapport à la simple transmission du savoir et de permettre une autre forme d’apprentissage. Ce n’est qu’ensuite que vous avez perçu le nouveau rôle que cela implique pour les formatrices et formateurs: ainsi est née l’idée d’un «accompagnement de l’apprentissage». Si vous regardez maintenant les différentes étapes de l’architecture d’apprentissage et de développement que nous avons conçues afin que vous puissiez concrétiser cette idée, quelles sont les spécificités de ce travail de développement commun?
Coop: La nouveauté pour nous, c’est que l’apprentissage ne s’arrête jamais dans ces processus de développement. Dans votre conception de «l’apprentissage autonome», l’apprentissage va toujours plus loin. Comme vous nous l’avez souvent dit: «L’apprentissage est un processus sans fin». Il reste toujours quelque chose à découvrir et à analyser. Plus on apprend et on comprend des choses, plus il y a de nouvelles questions qui apparaissent. Nous n’étions pas habitués à cela. Nous nous sommes demandé si nous voulions vraiment cela, c’est-à-dire ne jamais arriver au but, mais être toujours en quête de quelque chose. Cela a pris du temps. Mais aujourd’hui, nous n’avons plus besoin d’aborder cette question fondamentale. Nous savons et comprenons tous que les entreprises n’ont pas d’autre choix que d’entrer dans cette dynamique: élaborer de nouvelles questions est en fait plus important que de donner des réponses. L’une des principales révélations ici chez Coop a certainement été le fait qu’aujourd’hui, notre compréhension de la formation initiale et de la formation continue fait quasiment l’unanimité: nous savons que nous voulons rompre avec notre façon de faire précédente. Nous nous sommes engagés sur une voie et sommes convaincus d’avoir abandonné de nombreuses habitudes. Nous avons pris nos distances par rapport à des choses que l’on trouvait évidentes et qui ne fonctionnent plus du tout aujourd’hui, par exemple l’enseignement exclusivement frontal ou les exposés qui durent des heures.
Nous le voyons aussi très concrètement avec l’orientation vers les compétences opérationnelles, un thème qui a pris de l’importance dans le contexte de la formation initiale et du projet «Plan d’études 21». Nous sommes conscients que le paysage de la formation en Suisse traverse un processus de changement fondamental. Dans ce contexte, beaucoup d’entre nous ont ressenti, dès nos premiers travaux de développement communs, le besoin de disposer d’un concept prêt à l’emploi pour la formation initiale et la formation continue en entreprise, facile à mettre en œuvre par la suite. C’est pourquoi, au début de notre collaboration, la question «Comment doit-on faire maintenant?» ou «Dites-nous enfin ce que nous devons faire!» revenait souvent. À un moment donné, alors que nous étions face à un problème concret de développement conceptuel, j’ai ressenti le besoin de savoir enfin quelles étaient les prochaines étapes «concrètes». La réflexion commune à ce sujet a été une expérience cruciale: j’ai compris ensuite que la voie à suivre devait être différente. C’est précisément ce que nous souhaitons avec l’apprentissage auto-organisé, autrement dit se faire ses propres expériences pour identifier les problèmes et développer des solutions de manière autonome. C’est quelque chose d’essentiel: il s’agit d’abord de permettre ces expériences qui changent les personnes. Certes, nous disposons à présent de plus d’idées et de résultats de recherche sur la façon dont cela pourrait fonctionner, mais chacune et chacun doit se faire ses propres expériences avec cette nouvelle idée, avec l’accompagnement de l’apprentissage. C’est un aspect central.
Chaire Éducation des adultes et formation continue: Dans la conception méthodologique et didactique de nos formats de formation continue, il s’agit bien souvent de «rendre perceptible» l’essentiel, de montrer la pertinence quotidienne d’un sujet. Nous disons toujours: il faut d’abord un point de vue, vient ensuite le concept. L’architecture d’apprentissage et de développement que nous avons mise en place ensemble ici, chez Coop Campus, s’est transformée en un «principe du double étage didactique», conformément à cette approche. Comment décririez-vous ce principe?
Coop: Au départ, nous avions demandé à la chaire de la Haute école pédagogique spécialisée du Nord-Ouest de la Suisse de concevoir le cadre de la formation continue pour nous et d’endosser ainsi le rôle d’accompagnement de l’apprentissage pour l’ensemble de l’équipe de formatrices et formateurs, y compris la direction de la formation. Mais peu à peu, vous avez montré que cela n’était pas suffisant. Lors de l’étape suivante, la conception et l’organisation des journées de formation continue sont devenues progressivement une tâche de la direction de la formation, toujours sous votre regard encourageant et bienveillant. Jusqu’à ce qu’aujourd’hui, un groupe de formatrices et formateurs conçoive et organise lui-même des journées de formation continue qui sont une source d’inspiration pour les collègues. Aujourd’hui, les participantes et participants conçoivent et réalisent leur propre formation continue. Il s’agit déjà d’un immense progrès pour nous.
Chaire Éducation des adultes et formation continue: En réalité, on observe ici d’immenses processus de développement, tant chez les différentes accompagnatrices et accompagnateurs d’apprentissage qu’au niveau collectif. Il est peut-être important d’ajouter que cet apprentissage auto-organisé ne signifie pas simplement que chacun fait désormais ce qu’il veut, comme il l’entend. Le travail de développement de la culture d’apprentissage s’inscrit dans un changement structurel plus large: nous avons organisé des projets partiels et créé des contenants intégrés dans la structure de l’entreprise, qui mettent l’accent sur certains aspects de l’apprentissage auto-organisé et de la partie opérationnelle qu’est l’accompagnement de l’apprentissage.
3.1 Logique structurelle et de développement des cultures de l’apprentissage auto-organisé
Ces contenants structurels, générés selon la situation et qui se sont établis aujourd’hui, servent d’une part à la réflexion individuelle sur le rôle professionnel d’«accompagnement de l’apprentissage»; ils favorisent d’autre part le travail de développement collectif. Ils portent fréquemment des désignations attrayantes tels que «Environnement d’exploration», «Street-Food-Festival», «Coop à la loupe» ou le «Camp d’été Coop 2021». Il s’agit d’un sous-projet qui a pu voir le jour dans des délais relativement courts au format numérique à la suite de la pandémie de Covid-19 en 2021. Un prototype d’architecture d’auto-apprentissage en ligne reposant sur la logique de développement didactique et méthodologique de l’apprentissage autonome a vu alors le jour. Dans cet environnement d’apprentissage multimédia complexe, l’équipe de formatrices et de formateurs de Coop a eu l’occasion de se pencher pendant deux mois sur les structures, les conditions et les options opérationnelles relatives aux questions de l’apprentissage auto-organisé et du nouveau concept professionnel qu’est l’accompagnement de l’apprentissage, en suivant des parcours d’apprentissage individuels et dans des cadres coopératifs.
Nous sommes convaincus que c’est précisément dans ces «espaces intermédiaires» que se forment le nouveau savoir collectif et les compétences opérationnelles pour une nouvelle culture d’apprentissage chez Coop Campus. Actuellement, en raison du grand nombre de nouvelles collaboratrices et collaborateurs à intégrer et des problématiques qui en découlent, nous travaillons souvent avec des ateliers intensifs réservés aux questions cruciales. Au cours de ces ateliers, un groupe de formatrices et formateurs se réunit dans des délais relativement courts pour aborder précisément les problématiques urgentes.
Coop: Avec ces ateliers, nous avons créé une spécificité! Dans ces ateliers, nous menons un travail intensif sur des questions concrètes issues de la pratique. Cela fait progresser tout le monde. Chez Coop Campus, nous travaillons également avec des lignes directrices. L’une d’elles est la suivante: nous sommes une organisation apprenante. Et ce processus montre à la perfection ce que cela signifie exactement. En tant qu’«organisation apprenante pour la formation et la formation continue», nous ne cessons d’apprendre, nous nous créons notre propre culture de l’apprentissage auto-organisé et obtenons ainsi une forme d’accompagnement d’apprentissage spécifique à Coop. Actuellement, nous nous demandons par exemple comment convaincre les membres de la hiérarchie d’accompagner leurs collaboratrices et collaborateurs dans leur apprentissage ou comment le concept d’accompagnement de l’apprentissage peut enrichir l’apprentissage dans les points de vente. Si je regarde le paysage de la formation et ses institutions en Suisse, nous sommes déjà sur la bonne voie. Cette ténacité parfois un peu pénible, cette volonté de persévérer malgré les résistances et les lourdeurs rencontrées auront certainement permis de reconnaître la valeur des efforts accomplis.
Chaire Éducation des adultes et formation continue: L’image de l’organisation apprenante correspond parfaitement à ce qui a été dit au début, à savoir que l’apprentissage est un processus sans fin et que les travaux de développement ne sont jamais terminés. L’une de nos principales missions est la transformation et la refonte de concepts de cours sous forme de «scénarios». Là aussi, l’idée a longtemps prévalu qu’une fois élaboré, le cours était prêt pour les années à venir. Nous observons cependant que la conception d’un cours doit plutôt être considérée comme un «organisme vivant». Finalement, la conception vit grâce aux participantes et participants et, plus que jamais, des capacités d’analyse sont nécessaires pour apprendre à «lire» des situations de cours uniques et à concevoir des situations annexes propices à l’apprentissage, où les effets souhaités peuvent se produire. Cette compétence opérationnelle et professionnelle consistant à permettre l’apprentissage dans des situations est extrêmement exigeante et requiert une attention permanente pendant le déroulement du cours. Ce n’est pas quelque chose de définitivement «acquis», mais plutôt, comme le dit Dieter Nittel, une prestation professionnelle à fournir à chaque nouvelle situation (Nittel 2000, p. 85). Cette prestation des formatrices et formateurs n’est pas un métier mécanique, tout comme on ne peut pas se contenter de «montrer comment cela fonctionne». Elle renvoie à une conception spécifique de l’apprentissage individuel et de l’organisation apprenante, et cette conception ne peut se réduire à un circuit de régulation cybernétique.
Coop: Il y a quelques années, nous avons lancé une réforme de l’apprentissage dans la formation professionnelle. Nous étions alors une entreprise pionnière dans le secteur du commerce de détail. Au début, il semblait que nous allions relativement vite avec l’entreprise externe que nous avions mandatée. La formation initiale a été remaniée et les objectifs d’apprentissage ont été transformés en compétences opérationnelles. À la fin, nous devions présenter à l’entreprise ce que nous avions élaboré pour qu’elle apporte les corrections. Cette manière de procéder était alors attrayante pour nous, car plus rapide, plus linéaire et elle permettait de savoir exactement ce qu’il fallait faire ensuite. Aujourd’hui, je dirais que notre démarche ouverte de recherche promet peut-être moins «de sécurité ou de clarté», qu’elle est nettement plus encombrante et certainement moins confortable, mais elle laisse la place aux questions vraiment importantes: sommes-nous ici face à une compétence opérationnelle pertinente dans la vie quotidienne ou préférons-nous simplement le principe «Les personnes en formation doivent pouvoir» (compétence opérationnelle) au principe «Les personnes en formation doivent savoir» (objectif d’apprentissage)? En somme, il s’agit précisément de se confronter à sa propre action. Nous voyons aujourd’hui que ce changement d’attitude alors nécessaire doit être abordé d’une manière bien différente. Je trouve cela passionnant. L’évolution des questions en lien avec l’attitude n’est pas automatique, elle ne peut pas être transmise par une simple injonction ou via une instruction, elle doit être vécue de manière sensée et doit être pratiquée concrètement. Cependant, les processus que nous déclenchons font précisément partie de l’apprentissage tout au long de la vie. Par conséquent, on peut apprendre aussi quelque chose sur son propre apprentissage. Les participantes et participants que nous accompagnons dans les nouveaux cours en sont informés systématiquement. Je pense que finalement, cela nous permet d’être bien plus efficaces.
3.2 De la culture d’apprentissage à la culture d’entreprise et inversement
Chaire Éducation des adultes et formation continue: C’est une bonne transition vers la question suivante. Si nous considérons que dans notre collaboration, il s’agit toujours d’ouvrir de nouveaux espaces d’apprentissage et de développement aux collaboratrices et collaborateurs de Coop... Quelle est, selon vous, la valeur ajoutée d’un tel apprentissage pour votre quotidien en entreprise?
Coop: Il est certain que les expériences d’apprentissage dans nos cours créent une plus-value pour les participantes et participants. Une expérience clé a été également le retour d’une personne qui a dit ceci: «Tu nous as fait sortir de notre zone de confort». Elle a raconté qu’elle avait pensé pouvoir venir à ce cours, que quelqu’un lui aurait parlé alors de quelque chose, qu’il y aurait eu un peu de travail de groupe et beaucoup de choses à assimiler. Elle s’est rendu compte ensuite que non, elle devait être actrice du cours, elle aussi! Je pense que si quelqu’un se rend compte de cela et si cela devient une culture à moyen terme, il y a vraiment une valeur ajoutée, non seulement pour la personne, mais aussi pour l’entreprise dans sa globalité. Oui, le pendant de l’attitude de consommation est la participation, la prise de responsabilités, et cela commence toujours dans son propre domaine. Une expérience personnelle qui surprend augmente alors le désir de mise en œuvre dans son propre quotidien. Il y a tout simplement beaucoup de potentiel dans cette participation, et cela peut aller jusqu’à un changement de culture.
Chaire Éducation des adultes et formation continue: Ces expériences qui font l’effet d’une révélation sont également fondamentales pour l’équipe de formatrices et de formateurs. Chaque fois que l’on comprend comment sa propre pratique d’enseignement est liée aux possibilités de formation de personnes dans l’entreprise, on s’aperçoit qu’il existe d’innombrables possibilités d’organisation. Cela permet de comprendre comment initier de tels processus de création de sens. L’une des principales conclusions est que, dans la formation continue, nous encourageons non seulement l’apprentissage auto-organisé, mais aussi les processus de co-décision et de co-responsabilité en entreprise!
Coop: Oui, c’est très bien! Peut-être devrions-nous même prendre l’habitude de qualifier les participantes et participants de «co-créatrices et co-créateurs». L’idée est belle: s’éloigner de la simple participation, et devenir actrice ou acteur du cours.
Chaire Éducation des adultes et formation continue: René a établi ce lien dans le cadre d’un évènement: la particularité du travail de développement de la culture d’apprentissage chez Coop Campus réside dans le fait qu’une culture d’apprentissage y est vraiment développée et modifiée selon une approche ascendante («bottom-up»). Cela nous amène à une autre question intéressante: si ce sont les personnes sur place qui prennent effectivement les choses en main et qu’elles les changent, quelles sont les conditions et les structures nécessaires dans l’entreprise pour engager, permettre et mettre en œuvre de tels processus de développement?
Coop: Si maintenant je regarde Coop en tant qu’entreprise, tout cela a été possible parce que nous avons pu commencer dans la formation. Chez Coop, la formation fait partie intégrante de la culture d’entreprise et la formation Coop fait partie de l’ADN de l’entreprise: en moyenne, nos collaboratrices et collaborateurs passent un jour par an en formation continue chez nous. C’est peu pour s’imprégner de la culture. Mais ces initiatives se reflètent aussi dans notre culture de direction. Si tu veux devenir cadre chez Coop, 80% des cadres suivent un programme de management et de direction. Et nous l’organisons. Ce sont souvent plus de vingt journées au cours desquelles nous pouvons aborder des valeurs et des comportements et transmettre nos idées. Cela est possible également dans le cadre de nos ateliers de définition d’objectifs, que nous organisons et auxquels participent plus de 10 000 cadres.
Chaire Éducation des adultes et formation continue: Dans ce contexte, on retiendra deux aspects en particulier. Premièrement, la culture d’apprentissage, au moins dans votre conception de l’entreprise, influence grandement la culture de direction. Et la deuxième constatation est que les conditions-cadres créées sont importantes pour que les personnes puissent et sachent se développer. S’il existe une culture d’apprentissage et de formation continue qui montre clairement qu’il est possible d’aménager des espaces où les personnes apprennent quelque chose et s’y développent, et cela dépend beaucoup du type d’«espaces» qu’on aménage, cela a alors des répercussions considérables sur la culture d’entreprise.
3.3 Poursuivre sur la voie d’une culture coopérative de l’apprentissage chez Coop Campus
Chaire Éducation des adultes et formation continue: Partant de là, il est possible de formuler maintenant notre dernière question. En ce qui concerne la «vision de l’accompagnement de l’apprentissage 2030 chez Coop Campus», où en sommes-nous actuellement dans ce travail de développement? Qu’est-ce qui vous encourage à poursuivre dans cette voie? Quelles étapes importantes restent à franchir?
Coop: Je suis convaincu que la voie que nous avons choisie est la bonne. Nous obtenons des résultats toujours plus concrets. Prenons deux exemples. Un thème récurrent est la question du diplôme à l’issue de nos formations continues. Pour cela, nous avons recours habituellement au «certificat de compétences». Aujourd’hui, nous constatons que la plupart des formatrices et formateurs sont conscients que, bien que nécessaire, un certificat de compétences peut ou doit même prendre différentes formes à cause des différents contenus. Nous avons aussi compris que chaque cours nécessite un scénario et que ces scénarios a) peuvent être très différents les uns des autres et b) doivent considérer l’utilisation situationnelle comme la normalité et non comme une exception. Je pense que nous y sommes parvenus. Beaucoup de bonnes idées et de pistes de réflexion sont déjà en cours de développement et les choses avancent.
Mais ce que nous constatons encore parfois est ce que je qualifierais d’«enfilade de sujets». Par exemple, nous avons toujours des cours où les sujets sont simplement «enseignés» tous bien dans l’ordre. Aujourd’hui, nous souhaitons rompre avec cette habitude et adopter une attitude plus interrogative, et faire découvrir ainsi aux participantes et participants, ou plutôt aux co-créatrices et co-créateurs, des thèmes et des défis de manière bien plus ciblée.
Chaire Éducation des adultes et formation continue: Oui, c’est cohérent. Et l’éducation des adultes contribue effectivement à ce que nous ne cessons de souligner avec le concept des «thèmes génératifs». Demander de quoi il s’agit vraiment ici. Aller vers l’essentiel, extraire le sens pour devenir des créatrices et des créateurs de sens dans cette fonction importante. Poursuivre ces développements avec vous sera encore très passionnant! Nous vous remercions chaleureusement pour cet entretien.
Coop: Merci à vous pour cette collaboration fructueuse et basée sur la confiance.
4. Conclusion
Partant du postulat qu’une culture d’apprentissage dynamique et qui favorise le développement peut contribuer à garantir l’employabilité individuelle et la pérennité de l’entreprise, cet article a examiné la question des structures et des conditions créées par la société Coop dans la formation continue en entreprise, afin de promouvoir et professionnaliser l’apprentissage auto-organisé et le rôle professionnel de l’«accompagnement de l’apprentissage». Un entretien reconstructif entre la chaire d’éducation des adultes et de la formation continue et les responsables de Coop a permis de réfléchir aux principales étapes de la collaboration et de dégager les interactions spécifiques entre la recherche en formation continue, le développement organisationnel et le processus de changement culturel d’apprentissage. Il est apparu clairement que le travail commun de conseil et de développement ne se limite pas à définir une situation cible à partir d’un état des lieux. Il consiste aussi à donner, via une logique spécifique de structure et de développement, des impulsions de changement qui permettent d’instaurer une culture de l’apprentissage auto-organisé propre à l’entreprise. La tâche consiste toujours à analyser sa propre pratique aux niveaux micro-, méso- et macro-didactique et à concevoir une nouvelle pratique culturelle d’apprentissage sur le mode imaginatif. Et c’est précisément pour acquérir de nouvelles perspectives que l’interaction entre la recherche en formation continue et le développement organisationnel s’avère extrêmement fructueuse.
- Pour en savoir plus sur ce master en sciences de l’éducation, spécialité Éducation des adultes, voir le site https://bildungswissenschaften.unibas.ch/de/masterstudium/educational-sciences/studienstruktur/#c11179
Bibliographie
Klingovsky, Ulla, Kossack, Peter (2007): Selbstsorgendes Lernen gestalten. Berne: Hep Verlag.
Klingovsky, Ulla (2021): Empirie im Kursraum - (An)Ordnungen des Lehrens und Lernens unter den Bedingungen der Digitalität. Dans Christian Bernhard-Skala, Ricarda Bolten-Bühler, Julia Koller, Matthias Rohs und Johannes Wahl (Eds.). Erwachsenenpädagogische Digitalisierungsforschung. Impulse. Befunde. Perspektiven, pp. 39-54. Wbv.
Nittel, Dieter (2000): Von der Mission zur Profession? Stand und Perspektiven der Verberuflichung in der Erwachsenen- und Weiterbildung. Wbv.